Par son volume financier et sa charge émotionnelle, l’affaire qui oppose depuis plusieurs mois une cinquantaine de médecins à leur employeur, le Grand Hôpital de l’Est francilien (GHEF), commence à faire grand bruit.
Fruit d’un vaste regroupement entre quatre hôpitaux de Seine-et-Marne (Meaux, Marne-la-Vallée et Coulommiers en MCO ainsi que Jouarre en gériatrie), le GHEF, qui emploie 900 médecins, traverse une zone de turbulence depuis l’arrivée en décembre 2023 de la nouvelle équipe de direction, pilotée par Jérôme Goeminne, par ailleurs président du Syndicat des managers publics de santé (SMPS). En cause : un remboursement de primes à hauteur de 2,7 millions d’euros réclamés par l’établissement à une cinquantaine de ses praticiens, pour moitié diplômés hors Union européenne (Padhue), pour moitié contractuels.
Ces médecins « ont bénéficié de rémunérations non réglementaires les années précédentes », a indiqué l’hôpital le 15 juillet par voie de presse. « En application de la loi, le Trésor public demande que les praticiens concernés remboursent les sommes qu’ils ont perçues à tort » sur les 24 derniers mois, précise encore l’établissement, qui indique agir « en accord avec les responsables médicaux ». Au regard des montants en jeu, le remboursement pourra être étalé dans le temps.
Des primes parfois supérieures au salaire
Cette affaire est inédite à plusieurs niveaux. C’est la première fois qu’un établissement hospitalier se retourne contre ses praticiens pour réclamer une répétition de l’indu (c’est-à-dire, sommairement, un remboursement après une erreur) sur des primes jugées illégales par le Trésor public.
La somme réclamée, elle aussi, interpelle et témoigne du niveau de primes très élevées que la précédente direction du GHEF n’hésitait pas à proposer aux médecins Padhue et contractuels diplômés en France pour réussir à assurer la continuité des soins.
Enfin, elle interroge sur le rapport qu’entretient l’administration avec les Padhue, ces médecins au statut et à la rémunération précaires depuis des années, dont la présence dans les hôpitaux périphériques est indispensable. Selon un article du Parisien du 18 juillet, certains ont perçu pendant des années des primes qui représentaient entre deux tiers et la moitié de leurs revenus. Une information en partie confirmée par une source interne à l’établissement, qui précise au Quotidien que les Padhue perçoivent au GHEF un salaire mensuel moyen de 2 000 euros (3 000 euros pour les spécialités avec gardes) et 3 000 euros de primes. Certains doivent donc rembourser plus de 70 000 euros à l’hôpital en voyant leur rémunération sévèrement amputée dans le même temps.
En coulisses, c’est une vaste bataille juridique qui se joue pour savoir qui doit endosser la responsabilité, et donc qui doit payer. Les lignes de défense sont claires.
Du côté de l’hôpital, on met en avant la nécessité de respecter la loi, dont les modalités ont changé à la faveur de deux textes. En janvier 2023, la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics (RGP), qui modifie le périmètre de la responsabilité financière et redéfinit le régime de sanctions, a d’entrée de jeu alimenté la tension dans l’ensemble des hôpitaux publics et au sein de la Fédération hospitalière de France, qui s’est fendue de plusieurs notes techniques explicatives.
Sueurs froides et contournement de la loi Rist
À ce changement de tonalité s’est ajoutée la loi Rist, qui a retreint en avril 2023 le recours à l'intérim en plafonnant les revenus de ces médecins, ce qui a provoqué des sueurs froides dans les petits hôpitaux mais n’a pas empêché des contournements massifs de la loi.
Dans la foulée de ces deux textes, des consignes nationales ont été envoyées aux établissements publics pour se mettre dans les clous. Selon une source hospitalière qui connaît bien le paysage national, la majorité des hôpitaux, qui employaient au-delà du plafond de la loi Rist une poignée ou deux de praticiens, ont suivi les consignes.
Mais que ce soit pour des questions d’attractivité, de respect de la continuité des soins ou pour d’autres raisons, une petite minorité a préféré détourner le regard. Or les chambres régionales des comptes ont commencé à faire le ménage, le Trésor public aussi. Dans cet écosystème, le GHEF se distingue par le nombre de praticiens concernés par cette régulation et par le montant de la somme à recouvrir. Après plusieurs mois à chercher une solution en interne auprès de plusieurs cabinets d’avocats pour éviter la répétition d’indus, la nouvelle direction dit en substance aujourd’hui ne pas avoir d’autre choix que d’appliquer la loi.
Non-respect des contrats de travail
La ligne de défense des médecins attaqués est évidemment tout autre. Des cabinets d’avocats se sont saisis de plusieurs cas et affûtent leurs arguments.
C’est le cas de Me Léonard Balme, chargé de huit dossiers de praticiens et de Padhue du GHEF. L’avocat rejette l’idée de primes considérées comme « illégales » puisqu’elles ont été inscrites noir sur blanc dans les contrats de travail des médecins en tant qu’« indemnités différentielles », indique-t-il. « Et l’hôpital trouve parfaitement normal de demander 60 000 à 80 000 euros de remboursement à des médecins qui, hors prime, ont des salaires qui se rapprochent du Smic, c’est assez choquant », s’agace l’avocat qui, comme d’autres conseils, a d’ores et déjà déposé plusieurs requêtes devant le tribunal administratif.
Par sa taille, son hétérogénéité et sa complexité juridique, ce dossier risque de s’étirer sur plusieurs années. Mais aussi de faire jurisprudence dans un univers où le principe de primes octroyées de gré à gré à des médecins pour faire face à des taux de vacance médicale crevant le plafond est encore très fréquent.
« En voulant laver plus blanc que blanc, le Trésor public a mis le doigt sur des non-conformités massives. Il existe des milliers de situations similaires à celle du GHEF, et ce qu’on appelle les primes extralégales sont légion, affirme le Dr Éric Tron de Bouchony, praticien hospitalier à Saint-Nazaire et spécialiste de la question à l'UFMICT-CGT. On ne tolérera pas qu’on demande encore et toujours aux super-précaires de porter le chapeau. Et on ne tolérera pas plus l’impunité des directeurs qui semble se profiler avec cette affaire à l’horizon. »
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