LE QUOTIDIEN : Comment commence l’histoire du Dr Globe-trotter ?
Dr CLAIRE LENNE : C’est depuis mon point d’ancrage, La Réunion, où je travaille en tant qu’urgentiste dans les hôpitaux publics, que je m’envole régulièrement pour des missions de deux mois vers les quatre coins du monde. Tout est parti d’un journal de bord que m’avaient offert mes proches lors d’une première mission d’urgentiste en Guadeloupe. En bonne élève je l’avais consciencieusement rempli et, au fil des voyages, au fur et à mesure que je découvrais des lieux insolites, j'ai voulu partager mes expériences. En 2022, j’ai ainsi écrit un premier livre aux éditions Balland ; la suite vient tout juste d’être publiée.
D’où vient cet appel du voyage ?
Après un internat en métropole, je suis partie à La Réunion qui est un bon compromis entre être en France sans l’être. Ici, je retrouve la qualité de soins française, mais avec un environnement de travail particulier, sous les tropiques, au contact d’un multiculturalisme riche.
J’ai toujours été attirée par le voyage, au sens de la découverte à la fois d’un peuple, d’un lien et d’un mode de vie. Je pensais que seul l’humanitaire me permettrait d’allier travail et voyage, j’en rêvais, mais finalement j’ai découvert par le bouche à oreille qu’il y avait d’autres moyens d’être médecin à l’étranger.
Grâce à mes missions, j’ai eu l’opportunité d’exercer dans des cadres plutôt insolites comme le milieu pétrolier, le nucléaire ou encore les évacuations sanitaires. Au final, c’est avant tout une soif de découvrir et de comprendre le monde tel qu’il est, avec le désir de soigner. Il y a beaucoup de manières de voyager, évidemment le tourisme avec la visite de lieux et de monuments, mais je trouve que la compréhension d'un environnement ne se fait pas en 15 jours. Et puis je suis assez convaincue que partir pour revenir permet de faire le plein d’énergie, je pense que c’est l’un des meilleurs remèdes anti-burn out.
Quels sont ces cadres insolites dont vous parlez ?
Si je devais parler d’une mission qui m’a particulièrement marquée, j’évoquerais celle en Antarctique, une expédition de ravitaillement d’une station scientifique, où nous étions plongés dans une blancheur glacée et isolée, éclairés par l’absence de nuit. Je repense aussi au Nigeria et la découverte du milieu pétrolier, assez ambivalente car nous avons tous besoin de pétrole, et en même temps nous détestons cette face sombre de nous-mêmes, à juste titre puisqu’elle nous détruit aussi. À chaque fois, je me pose des questions sur la destination où je vais, mais il n’y a pas de réponse simple. Au final, j’ai besoin d’être bousculée, c’est un défi à chaque fois et je relativise en me disant qu’au pire ce ne sont que deux mois.
Les médecins sont très respectés dans les endroits où je suis allée
Que ramenez-vous de vos missions ?
Tout d’abord « Débrouillardise et adaptation », car le maître-mot c’est « faire avec les moyens du bord ». Globalement, la majorité du quotidien, c'est de la médecine générale rythmée par des interventions d’urgence voire des situations qui dépassent de loin nos capacités. Médecine légale, soins intensifs, dermatologie…, quand il n’y a personne d’autre autour, on se retrouve à faire tout cela, aidé de la télé-expertise et d’un réseau de professionnels bienveillants.
Et puis ce sont surtout les gens. Lors de mes missions, je passe deux mois dans l’intimité de collègues temporaires et de patients que je ne reverrai plus. C'est une vie communautaire très forte. Mais je suis assez bonne pour garder contact et suivre l’évolution des endroits où je suis passée. Je repense à une petite patiente de 4 ans que j'avais soignée dont j’ai des nouvelles régulièrement par sa mère.
Enfin, j’ai également remarqué que les médecins sont très respectés dans les endroits où je suis allée, sans doute plus qu’en France. Ils sont estimés ; inviter un médecin à sa table, pour certains, est un honneur. Il faut le dire d’ailleurs, nous avons vraiment de la chance d'avoir ce système de santé même si nous aimerions toujours mieux.
Rêvez-vous toujours d’humanitaire ?
C’était mon plan initial, mais le destin en a décidé autrement. C’est une cause qui me touche et je pense que ma prochaine mission pourrait se faire dans une petite structure humanitaire, par exemple à Madagascar. Je me bats, je pense, bien au-delà de ce qui est simplement attendu d’un médecin. Je me souviens d’une petite fille au Gabon atteinte d’une drépanocytose qui avait contracté une infection très sévère ; j’ai tout fait pour qu’elle puisse continuer à aller à l’école malgré la réticence et les a priori de son enseignante. Pour moi ces missions, c’est l’humain avant tout.
Quels sont vos prochains projets ?
La publication de mes livres m’a ouvert la porte de conférences, d’ateliers d’écriture et d’interventions dans les écoles. J’y partage différents thèmes, notamment celui de vivre ses rêves et d’en avoir de grandioses. J’ai énormément rêvé de voyager, ça bouillonnait en moi alors que j’étais assise à ma table de travail et c'est ce qui a fait qu’une fois diplômée, je suis partie.
J’aime également raconter mes péripéties et expliquer à mes consœurs et confrères comment soigner avec les moyens du bord en sortant des protocoles préétablis ; comment transposer aux conditions locales ce que l’on sait. Je dirais aussi que j’ai envie de questionner notre manière de vivre en France, notre manière d’être heureux et de partager ce que les autres cultures m’ont appris comme la résilience que j’ai pu voir en Afrique.
Je ne puis que recommander de pratiquer son métier ailleurs
Un conseil pour tenter l’aventure de Dr Globe-trotter ?
Je conseille de commencer par les Drom, car ils restent des endroits très sécurisés et accessibles, qui en même temps nous font sortir de notre zone de confort. Ensuite, c’est le bouche à oreille, il faut rentrer en contact avec des gens et échanger. Ces expériences sont incroyables, mais aussi dures. Il ne faut pas perdre de vue que l’on peut être malmené ; s’adapter peut paraître facile au début puis cela se corse. Mais cela reste immensément enrichissant et je ne puis que recommander de pratiquer son métier ailleurs. Côté emploi, pour ma part, je suis établie à La Réunion, mais je n’ai pas de poste fixe. Lorsque je rentre je postule pour des postes de six mois par exemple, puis je pars en mission. Au retour, la place est parfois prise et il m’arrive donc de changer d’hôpital.
Claire Lenne, « Docteur Globe-Trotter ». Éditions Balland 2022, 240 pages,17 euros
Claire Lenne, « Tour du monde en blouse blanche. Docteur Globe-Trotter 2 ». Éditions Balland 2024, 288 pages, 20 euros
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