Renforcement du système immunitaire, prévention des maladies cardiovasculaires ou des cancers, etc. Depuis le début des années 2000, les publications sur la vitamine D se sont multipliées, suggérant pour cette hormone un rôle bénéfique dans de nombreuses pathologies, bien au-delà du simple métabolisme osseux. En parallèle, plusieurs études épidémiologiques ont souligné la fréquence des carences en vitamine D en population générale. Avec, à la clé, une augmentation importante des dosages et des prescriptions.
Mais, depuis quelques mois, le sujet fait débat. Et, tandis que les autorités sanitaires appellent à lever le pied sur les dosages, certains auteurs anglo-saxons sèment le doute quand à l’intérêt de la vitamine D.
Le dosage bientôt déremboursé ?
Le coup d’envoi du désamour a été donné en octobre dernier par la HAS. Face à l’explosion des prescriptions de dosages de vitamine D, l’agence a été saisie par la CNAM pour statuer sur l’utilité clinique de ces dosages. Avec, en corollaire, la publication d’un rapport aux conclusions sans concessions puisque la HAS « ne reconnaît pas d’utilité au dosage de la vitamine D en routine » et préconise de le réserver à « des indications très limitées ». à savoir : le diagnostic de rachitisme et d’ostéomalacie, les mentions d’AMM des médicaments de l’ostéoporose et certaines situations particulières telles les personnes âgées faisant des chutes répétées, le suivi ambulatoire de l’adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation et le traitement chirurgical de l’obésité chez l’adulte.
Forte de cette expertise, l’UNCAM aurait acté, fin janvier, le déremboursement de ces dosages en dehors des très rares indications retenues par la HAS. Une décision trop sévère et qui « méconnait la pratique clinique » selon plusieurs experts qui signent un éditorial à charge sur le sujet.
Pour le Pr Jean-Claude Souberbielle (explorations fonctionnelles, hôpital Necker, Paris), fer de lance du mouvement, « ce déremboursement est une véritable catastrophe qui renvoie nos patients à l’âge de pierre ». Et passe sous silence de nombreuses indications de dosage légitimes et préconisées dans plusieurs recommandations internationales. Au premier rang desquelles l’ostéoporose mais aussi toutes les situations à risque de fragilité osseuse, l’IRC, ou encore l’ensemble des situations à risque de malabsorption.
Pour tous ces cas de figure, « les données de la littérature permettent de fixer avec un certain niveau de preuve une valeur cible thérapeutique de 30 ng/ml au delà duquel l’effet bénéfique clinique de la vitamine D est avéré », explique le Dr Virginie Personne (médecin généraliste à Paris) qui a participé au travail de la HAS mais regrette, elle aussi, des conclusions trop restrictives. Le dosage de la vitamine D rentre alors dans une optique de diagnostic mais permet surtout d’affiner la stratégie à mettre en œuvre pour atteindre cette valeur cible et s’y maintenir.
En revanche, en dehors de ces pathologies, tout le monde s’accorde sur l’inutilité des dosages « de routine » de la 25 OH vitamine D en population générale. Non pas que les déficits ou les insuffisances en vitamine D soit rares dans la population tout venant , mais plutôt parce qu’il n’existe pas de données permettant de fixer une valeur cible à atteindre pour espérer un bénéfice osseux ou même extra-osseux.
La supplémentation en question
Pour autant faut-il abandonner toute supplémentation en population générale ? Une méta-analyse publiée fin février dans le Lancet Diabetes § Endocrinology pose la question, suggérant que ce type d’intervention n’a pas d’intérêt et pourrait même être délétère dans certains cas.
Ce travail a analysé, au travers d’une quarantaine d'études, l'impact de la vitamine D dans la prévention des fractures, des maladies cardiovasculaires et des cancers. Résultats : en population non sélectionnée, la supplémentation en vitamine D ne diminue qu’à la marge (moins de 15% soit en dessous du seuil « d’inutilité » fixé par les auteurs) la survenue de ces maladies. Pour la fracture de hanche, les résultats de certains essais suggèrent même un risque accru sous vitamine D.
Et, au final, seules les personnes âgées vivant en institution ont bénéficié de la vitamine D en association avec du calcium, avec une réduction du risque de fracture de plus de 15%. « Compte tenu de ces données, il est peu justifié de prescrire de la vitamine D pour prévenir les infarctus, les accidents vasculaires cérébraux, le cancer ou les fractures », estiment les auteurs.
Si, comme le souligne le Pr Souberbielle, ce travail est critiquable sur le plan méthodologique (notamment parce qu’il regroupe des études très diverses dont la majorité n’étaient pas pensées initialement pour évalué l’impact de la vitamine D sur les critères analysés), il contribue à semer le doute. De même, « une lecture rapide des documents de la HAS pourrait induire une réticence globale vis-à-vis de la supplémentation en vitamine D (sans dosage préalable) qui serait hautement dommageable pour la population en particulier pédiatrique et gériatrique », regrette le Pr Souberbielle.
Sur le plan musculo-squelettique, l’intérêt d’une supplémentation fait pourtant relativement consensus en France, notamment aux âges « extrêmes » de la vie. Avec chez l’enfant et l’adolescent une efficacité démontrée sur la prévention du rachitisme et l’acquisition de la masse osseuse et, chez le sujet de plus de 65 ans, un bénéfice musculo-squelettique établi.
Les choses sont un peu moins évidentes pour l’adulte jeune en bonne santé, « même s’il semble acquis qu’avoir une concentration en dessous de 20 ng/ml n’est pas satisfaisante sur le plan musculo-squelettique quelque soit l’âge », précise le Dr Personne.
Concernant l’intérêt de la supplémentation dans la prévention (voire l’amélioration) de certaines affections extra-squelettiques, les données sont encore insuffisantes pour conclure. « Tous les jours, il a de nouvelles études qui montre que le déficit en vitamine D est associé à certains cancers, à la morbimortalité cardiovasculaire, à de très nombreuses maladies autoimmunes, au diabète gestationnelle, etc., rapporte le Pr Souberbielle. Mais il s’agit essentiellement d’études observationnelles dont on ne peut tirer aucun lien de causalité. »
Quant aux études d’intervention montrant des effets positifs de la vitamine D sur ces pathologies, elles existent mais « restent insuffisantes en nombre ou en qualité ou concernent des populations trop spécifiques pour se prononcer », poursuit le Dr Personne. Avec toutefois une constante dans ces études qui confirment toutes ou presque la bonne tolérance de la vitamine D et l’absence de toxicité aux doses habituelles.
Retour à un juste milieu ?
Dans ce contexte, le Pr Souberbielle propose d’être pragmatique et de se concentrer pour le moment sur la prévention du risque osseux, en tentant de diminuer au maximum en population générale la proportion de personnes sous la barre des 20ng/ml.
« Mais pas obligatoirement avec une supplémentation pour tout le monde », tempère ce spécialiste qui préconise de cibler (en plus des enfants et des plus de 65 ans chez qui la supplémentation doit être systématique) surtout les patients ayant des facteurs de risque d’hypovitaminose D. à savoir les personnes sortant très peu, celles portant des vêtements couvrants, les sujets obèses ou en surpoids ou encore les personnes à peau noire.
Chez les autres, « encourager les activités en plein air et une alimentation riche en vitamine D (éventuellement supplémentée) peut suffire ». Après un engouement énorme et des pratiques parfois anarchiques, est-on tout simplement en train de revenir à un juste milieu ? Probablement, mais gare à ne pas passer d’un extrême à l’autre…
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