Eugène Jamot, "l'homme qui réveilla la race noire", fort des connaissances acquises à l'Institut Pasteur à Paris et de son expérience en terre africaine décide de s'attaquer de front à la maladie du sommeil (trypanosomiase) et présente un rapport spécial sur cette pathologie qui ravage le continent noir au Conseil d'Hygiène de l'Afrique Équatoriale Française, le 29 novembre 1916.
Eugène Jamot est né à La Borie, hameau de la commune de Saint-Sulpice-les-Champs, dans la Creuse, le 14 novembre 1879 où son père, Jean, fut successivement agriculteur, entrepreneur en maçonnerie et marchand de vin. Il est destiné à reprendre les terres familiales, mais l'instituteur d'Eugène Jamot remarquant son intelligence finit par persuader ses parents de le laisser poursuivre ses études.
Après des études secondaires à Aubusson, Jamot passe son bac à Clermont-Ferrand avant d'obtenir avec brio une licence ès Sciences Naturelles à la faculté des Sciences de Poitiers en juillet 1900. Il se dirige alors naturellement vers l'enseignement comme le souhaite son père.
Il part alors en Algérie où il exerce comme répétiteur, successivement au Lycée de Blida, Ben-Aknon puis d'Alger. Il passe son PCN, et prend ses six premières inscriptions de médecine à la faculté d'Alger. Rentré en France, il se marie en 1904 et s'inscrit à la Faculté de Médecine de Montpellier où il soutient sa thèse de doctorat en Médecine en juin 1908, sous le titre : « Contribution à l'étude de la méthode de Bier ».
Médecin de campagne dans sa Creuse natale
Après s'être marié avec une jeune institutrice, Il retourne alors dans la Creuse pour exercer comme médecin généraliste à Sardent, où sa conscience professionnelle et sa générosité lui confèrent rapidement la reconnaissance de tous, d'autant plus qu'il parle le patois local. Mais en 1910, il renonce à son cabinet pour des raisons familiales. Il passe alors le concours d'entrée dans le Corps de Santé des Troupes Coloniales (concours latéral). Il fait partie de la troisième promotion de l'Ecole du Pharo à Marseille (promotion « l'Africaine ») dont il sort troisième. Il occupe alors un premier poste au Tchad où il se distingue dans le Ouaddaï, à Abéché, en participant aux opérations de pacification. Il publie à son retour en France, en collaboration avec F. Motais et J. Robert, des Notes sur la géographie médicale du Ouadaï.
Stage à l'Institut Pasteur
Profitant de son congé de fin de campagne en France, du 8 juin 1913 au 13 juillet 1914 - il est affecté au 5e Régiment d'Infanterie coloniale à Cherbourg - il va effectuer un stage à l'Institut Pasteur de Paris, dans le laboratoire de Mesnil auprès duquel il découvre la trypanosomiase, maladie à laquelle il va consacrer le reste de sa carrière.
Alors qu'il est de retour en Afrique, la Première Guerre Mondiale éclate. Il est alors désigné comme médecin-chef de la colonne Sangha-Cameroun et participe aux opérations militaires qui aboutissent à chasser les Allemands de Yaoundé. Lors de cette affectation, il relève les dégâts causés par la maladie du sommeil et lorsque le Cameroun ex-allemand est définitivement occupé par les Alliés en 1916, Jamot rejoint Brazzaville comme directeur de l'Institut Pasteur.
Traitement par Atoxyl
Après son rapport sur la maladie du sommeil en AEF du 29 novembre 1916, Jamot est chargé officellement d'organiser en Oubangui-Chari un service spécialisé dirigé contre la Maladie du Sommeil. Il va alors mettre au point sa doctrine d'intervention contre la maladie du sommeil et crée les premiers secteurs de prophylaxie. Sa méthode vise à réduire le réservoir de parasites par le dépistage précoce des patients atteints et leur traitement par l'Atoxyl introduit en thérapeutique par Aires Kopke. Elle repose aussi sur la mise en place d'équipes médicales mobiles et l'assistance d'auxiliaires formés aux techniques du diagnostic biologique.
Durant deux ans, Jamot se rend de village en village avec deux ou trois infirmiers et quelques porteurs, allant au-devant des malades dont la plus part ne peuvent se déplacer jusqu'à un poste médical. Il examine ainsi 89.743 personnes sur 100.000 km2 - et dépiste 5347 trypanosomés.
En 1920, Jamot est désigné pour le Cameroun où la maladie du sommeil sévit de façon endémique. Là, il crée des équipes de prospection s'entourant de jeunes médecins issus du Pharo et crée à Ayos une école d'infirmiers auxiliaires indigènes. Dans le Sud-Cameroun, entre 1925 et 1926, la trypanosomiase fait rage, encore plus qu'au Nord. Sur 663 971 personnes examinées par les équipes du Dr Jamot, 115 354 ( 17%) vont être reconnues atteintes de la Maladie du Sommeil.
Le 8 avril 1926 avec le soutien de Marchand, commissaire de la République au Cameroun ainsi qu'avec le soutien de l'Institut Pasteur, Eugène Jamot parvient à convaincre le Ministre des colonies, André Maginot, de l'ampleur du fléau . La mission permanente de Prophylaxie de la Maladie du Sommeil est instituée par décret ministériel; Jamot en est le Directeur.
Le 8 juin 1931, Jamot présente les résultats de sa mission contre la Maladie du Sommeil lors de l’Exposition Coloniale où le président de la République, Alexandre Millerand le présente comme « un bienfaiteur de l'humanité ». Le « vainqueur de la maladie du sommeil » est aussi récompensé par un Prix de l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Le nom de Jamot va même alors circuler pour le Nobel de médecine.
De la gloire à la disgrâce
Malheureusement, une erreur médicale commise trois ans plus tôt par un de ses collaborateurs va avoir des conséquences fâcheuses pour Jamot alors qu'il vient de repartir au Cameroun renforcer sa mission permanente . A Bafia au Cameroun, en 1928, l’administration par un jeune médecin de tryparsamide à des doses trop élevées, avait conduit à la cécité de 700 sommeilleux.
En apprenant la chose mais mal informé, le sous-secrétaire d’Etat aux Territoires d’Outre-Mer rend Jamot responsable de cette erreur médicale et annule sa nomination pour le Cameroun. Débarqué à Dakar le 22 novembre 1931, blâmé, Jamot est mis aux arrêts de rigueur.
Une lettre bouleversante
Son désespoir est immense comme en attestent les extraits de cette lettre du 3 février 1932 : « Le monde est dominé par l'intérêt, la méchanceté et la haine. Comment se défendre, comment lutter quand on n'a pour arme qu'un idéal d'amour et de bonté. Les âmes fortes sont, dit-on, vivifiées par l'épreuve. Mais je n'ai pas l'âme forte car je suis écrasé. Et pourtant, j'avais la foi. J'ai cru que la Justice était autre chose qu'un grand mot. J'ai cru que la Charité et la Pitié étaient des grandes vertus humaines. J'ai cru que la vie était sacrée et qu'on pouvait donner la sienne pour le salut de celle des autres. J'ai souvent cueilli dans les yeux de mes malades les plus primitifs une expression de reconnaissance infinie, et j'ai cru qu'on pouvait trouver dans l'apaisement des souffrances de hautes félicités et la suprême récompense. Oui, j'ai cru à tout cela et j'ai souhaité de vouer ma vie entière aux autres, de faire le bien pour le bien et de mourir à la tâche.. Pourquoi m'a-t-on meurtri? Pourquoi a-t-on anéanti les forces dont j'avais besoin pour continuer ma route? J'ai peut-être pêché par manque d'humilité. J'ai accepté des hommages disproportionnés à mes mérites et qui revenaient en bonne justice à tous ceux qui m'ont aidé. Le succès m'a grisé et j'ai bu comme un niais à la coupe empoisonnée de l'orgueil et de la vanité. J'en suis cruellement puni et je suis incapable de l'effort qui pourrait peut-être me racheter.»
Jamot, après avoir refusé l'offre des autorités anglaises d'aller s'occuper de la trypanosomiase au Nigéria, est néanmoins chargé en 1932 d’organiser la lutte contre la maladie du sommeil en AOF (Afrique Occidentale Française). Mais Il n'a plus les moyens, le personnel et l'autonomie administrative qu'il avait au Cameroun. Il se met néanmoins à la tâche et crée à Ouagadougou une école d'infirmiers spécialisés. Seul ou assisté de quelques jeunes médecins fraîchement issus du Pharo, il parcourt toute l'Afrique occidentale et enregistre en trente mois difficiles, près de 68 000 cas de maladie du sommeil dans une région où l'existence de la trypanosomiase était contestée. Le 19 novembre 1934, une « Conférence sanitaire » réunie à Bobo-Dioulasso conteste les méthodes de Jamot et écarte toutes ses propositions concernant la lutte contre la maladie du Sommeil en Afrique Occidentale Française (AOF). l’Administration centrale lui demande même de ne pas publier un document scientifique présentant la réalité de la situation sanitaire en AOF.
Cette incompréhension peut se résumer dans cette anecdote. Un jour qu'il voulut persuader le Gouverneur Général de l'AOF, Reste, que la trypanosomiase n'était nullement une « vue de l'esprit », Jamot lui fit voir un beau trypanosome au, microscope. « Êtes-vous sûr que c'en est un? Êtes-vous sûr des diagnostics de vos médecins? », lui demanda le Gouverneur Général. « J'en suis aussi sûr que celui qui se trouve devant moi est un con ! », rétorqua Jamot.
Las de lutter contre « les cloportes de l’administration coloniale »
Meurtri par l’affaire de Bafia, las de lutter contre ceux qu'il appelle les « cloportes de l'administration coloniale », Jamot fait valoir ses droits à la retraite en 1935. Il redevient le petit médecin de campagne qu'il était à ses débuts, dans son cabinet de Sardent qu'il avait quitté 25 ans auparavant. Eugène Jamot décède le 24 avril 1937 à Sardent, victime d'un accident vasculaire cérébral. Son corps fut transporté à Saint-Sulpice-les-Champs, où ses obsèques eurent lieu le 26 avril 1937, devant une foule très nombreuse. Sur sa tombe, figure cette plaque : « Les Médecins des Troupes Coloniales de la Mission de Prophylaxie de la Maladie du Sommeil au Cameroun (1926-1932) au Médecin Colonel Jamot qui fut leur chef vénéré ».
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