Compléments alimentaires, boissons énergisantes, aliments enrichis ou encore aliments destinés à des publics particuliers (sujets intolérants au gluten, personnes âgées…) : autant de produits dont la consommation flambe, souvent à l’insu des médecins traitants. Car si la plupart revendiquent des allégations « santé » ou « bien-être », ce ne sont pas des médicaments et leur consommation relève le plus souvent de « l’autodélivrance ». Sont-ils pour autant dénués de tout risque ? Non, indique un récent bilan du système d’alerte « Nutrivigilance » mis en place en 2010 par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation, environnement et travail).
Un engouement croissant
Le premier constat est celui de l’ampleur de cet engouement. En France, un adulte sur cinq et un enfant sur dix consomment au moins occasionnellement des compléments alimentaires ou des vitamines et minéraux. C’est ce qu’a révélé l’étude INCA-2 menée en 2006-2007 par l’Anses. Parmi ces consommateurs, 23 % des adultes et 12 % des enfants en prennent toute l’année ou presque.
Face à cette déferlante, « Il faut continuer à éduquer nos patients sur l’importance de l’équilibre alimentaire et de la variété des apports nutritionnels », martèle le Dr Laurence Baumann Coblentz (CNGE). Cela suffira-t-il à enrayer le succès croissant de ces produits ? Car le chiffre d’affaires du marché des compléments alimentaires est passé de 970 millions d’euros en 2010 à 1 353 millions d’euros en 2013 selon le Synadiet (Syndicat national des compléments alimentaires).
Plus de 1 000 signalements
Le dernier point d’étape du dispositif « Nutrivigilance » aide à appréhender les risques. « Depuis sa mise en place, Nutrivigilance a fait l’objet de 1 565 signalements d’effets indésirables, dont 76 % concernent les compléments alimentaires et 16 % les boissons énergisantes », précise le professeur Irène Margaritis, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition de l’Anses. La moitié de ces cas ont une imputabilité vraisemblable à très vraisemblable.
Pour les seuls compléments alimentaires, les produits minceur représentent 15,2 % des signalements, suivis des produits capillaires (11 %), anti-cholestérol (9,6 %), pour la vitalité et le tonus (9,2 %), la digestion (7,8 %), la vision (7,1 %), la peau et la protection solaire (6 %), le confort articulaire (5 %), la grossesse (5 %), l’immunité (4,6 %), le confort urinaire (4,3 %), la lutte contre le stress (3,9 %), le sport, le fitness et le body-building (3,9 %) Quant aux effets indésirables observés, ils sont de type hépatique (19,9 %), gastro-entérologique (18,4 %), allergique (16 %), neurologique ou psychiatrique (12,1 %), cardiovasculaire (9,9 %), dermatologique (7,8 %)
Sans surprise, le syndicat Synadiet relativise : « Chaque année en France, environ 80 millions de boîtes de compléments alimentaires sont vendues », ce qui correspondrait à « moins de 4 cas d’effets indésirables pour 1 million de boîtes achetées ».
« Ces produits ne sont pas des médicaments et ils n’en ont pas les mêmes effets indésirables. Mais ils ne sont pas anodins et les généralistes doivent le rappeler, avertit Franck Fourès, directeur-adjoint de l’évaluation des risques à l’Anses. Les médecins généralistes ne doivent pas exclure ces produits de leur champ d’analyse quand ils examinent leurs patients. » Il cite l’exemple de cette patiente qui prenait un complément alimentaire à visée articulaire et qui présentait une asthénie jointe à un jaunissement de l’œil. Consulté, le médecin traitant a vérifié l’absence d’hépatite virale, mais constaté des enzymes hépatiques très hautes. La patiente, dont l’état s’aggravait, a dû être hospitalisée. Après quelques jours, son état s’est amélioré avant de s’aggraver à nouveau, un mois après son retour à son domicile. « Le médecin a alors pensé à lui demander ce qui avait changé dans son mode de vie, de l’hôpital au domicile. Et il a fini par identifier le coupable et déclaré le cas à l’Anses, qui a procédé à une expertise. »
Franck Fourès cite aussi le cas de ce patient atteint de stomatite parce qu’il prenait des gélules d’huiles essentielles à visée de « rééquilibrage global » : ici, le patient avait fait le lien de cause à effet. « Quand le patient ne fait pas le rapprochement, le généraliste doit penser à aborder la question de la prise éventuelle de ces produits. »
Les médecins doivent rester particulièrement vigilants à l’utilisation de ces produits chez les femmes enceintes ou allaitantes et les jeunes enfants, mais aussi chez les personnes traitées au long cours pour une maladie chronique. Car ces produits peuvent avoir des interactions avec leurs médicaments habituels : « Par exemple, il ne faut pas consommer les compléments alimentaires à base de levure de riz rouge [à visée anti-cholestérol] en même temps que des médicaments à base de statines, indique Franck Fourès. Ni des compléments contenant de la p-synéphrine [à visée minceur] si l’on est traité pour une hypertension ou une dépression. Si l’on est fumeur, il faut absolument éviter les compléments à base de bêta-
carotène, en raison d’un risque accru de développer des cancers ».
Les généralistes sont « des leviers de vigilance essentiels »
Près de la moitié des déclarations (45 %, soit 709 cas) sont issues des professionnels de santé. Cela par l’intermédiaire des Centres régionaux de pharmacovigilance (20 %), des centres anti-poison et de toxicovigilance (16 %), des hôpitaux (4 %), des pharmacies (3 %) et des médecins de ville (2 %). Mais 27 cas seulement déclarés par des médecins de ville en quatre ans, n’est-ce pas très peu ? Selon Franck Fourès, « de nombreux médecins ont l’habitude de déclarer aux centres de pharmacovigilance qui nous retransmettent ces signalements. Dans tous les cas, les généralistes restent des leviers de vigilance essentiels ». Car ces déclarations ne restent pas sans suite : si nécessaire, elles donnent lieu à des expertises approfondies. Depuis 2010, l’Anses a ainsi émis neuf avis concernantces produits. Parmi eux les boissons énergisantes, les compléments alimentaires à base de levure de riz rouge et les compléments alimentaires contenant de la p-synéphrine.
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