Qu’ils souffrent du VIH, de sclérose en plaques, de neuropathies réfractaires, de cancers ou d’effets secondaires de leurs traitements, les malades tentés par le cannabis thérapeutique se trouvent aujourd’hui toujours contraints à l’illégalité, soumis à des produits – achetés via Internet ou au marché noir –dont ni la provenance ni la teneur en principes actifs ne sont assurés.
Malgré 10 000 études recensées dans un rapport de l’Académie des sciences américaines en 2017 et l’expérience des pays qui se sont déjà lancés (empiriquement ou poussés par des décisions judiciaires comme le Canada ou Israël), tout le monde convient que « le niveau de preuves scientifiques demeure insuffisant ». Le comité scientifique spécialisé temporaire (CSST), constitué le 10 septembre dernier pour évaluer la pertinence et la faisabilité d’une autorisation en France, a cependant rapidement donné son feu vert. Trois réunions, l’examen de la littérature et les premières auditions ont permis aux 13 personnes qui le constituent – médecins généralistes et spécialistes (psychiatrie, neurologie, oncologie, infectiologie, éthique médicale) et représentants d’associations – de publier un premier avis le 13 décembre. « En complément ou remplacement de certaines thérapeutiques », l’usage du cannabis peut être envisagé dans cinq situations, recense le CSST : douleurs réfractaires aux thérapies accessibles (médicamenteuses ou non), formes d’épilepsie sévères ou pharmaco-résistantes (syndrome Lennox-Gastaut ou de Dravet), soins de support en oncologie, soins palliatifs et spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.
Le ministère de la Santé ayant donné son aval le 27 décembre via le directeur de l’ANSM qui a souscrit à ce premier avis, le travail ne fait que commencer. Avec une première réunion le 30 janvier et trois ou quatre à suivre, le CSST doit d’ici l’été avoir planché sur la mise en œuvre d’une autorisation.
Quel cannabis autoriser ?
« En réalité, il faudrait parler DES cannabis thérapeutiques », précise le Pr Nicolas Authier, président du CSST. Une fois acquis que fumer cette substance est exclu à cause des effets délétères de la combustion – la plante peut être dispensée sous forme de fleurs séchées (infusion) ou de préparations magistrales (huile, pommade, gélules). La seule huile « permet un vaste panel d’administrations, explique le Pr Authier : vaporisation (inhalation à moindre risque), application (sur les tissus ou les muqueuses, en sublingual notamment), intéressante en traitement aigu ou par voie orale (gélules) pour un traitement de fond ».
À la lumière des études et expériences disponibles, il va falloir définir les proportions, à défaut du dosage précis des principes actifs les plus appropriés à chaque cas. Et « réfléchir à la formation des médecins habilités à en prescrire ». Scientifiquement, le chanvre indien, qui lorsqu’il fleurit contient quelque 500 composants dont 144 cannabinoïdes, est loin d’avoir révélé tous ses mystères. De ses principes actifs, deux (tétrahydrocannabinol ou THC et cannabidiol ou CBD) ont déjà au fil des expériences montré leur intérêt et la nécessité d’adapter leur proportion : « Pour l’épilepsie par exemple, il faut éviter le THC, responsable de l’effet psychoactif. »
Pour parfaire l’assise scientifique qui manque encore, le CSST a proposé que le cannabis thérapeutique à la française soit d’abord proposé dans le cadre d’une expérimentation, dont il reste à définir les contours : « Personnellement, je souhaiterais qu’elle soit nationale », explique Nicolas Authier. Confiée à des centres experts des pathologies balisées par le CSST, la prescription (hospitalière dans un premier temps) sera couplée à un registre des données (anonymes). Double avantage d’une expérimentation nationale : pouvoir réunir des cohortes significatives pour chaque indication et leur dispenser – gratuitement – du cannabis sans attendre l’éventuelle légalisation, appuie le Pr Authier.
Une fois le deuxième avis du CSST rendu, la balle sera dans le camp du ministère pour débloquer l’enveloppe budgétaire et changer la loi. Le cannabis et sa résine sont toujours sur la liste des stupéfiants. Le code de la santé publique qui interdisait toute dispensation de cannabis a déjà été modifié par décret en 2013 pour autoriser la mise sur le marché du Sativex® (voir encadré) mais ouvrait la porte à une utilisation thérapeutique à la seule condition qu’il soit contenu dans un médicament soumis à AMM.
* Pays-Bas, Italie, Autriche, Finlande, Grèce, Roumanie, Slovénie, Croatie, Pologne, Macédoine, Royaume-Uni, Allemagne
Trois médicaments pourtant autorisés
>Le dronabinol (Marinol®), à base de THC de synthèse, est soumis à ATU nominative depuis 2001. Il est indiqué pour les douleurs neuropathiques d’origine centrale, en échec des traitements existants.
>Le cannabidiol (Epidiolex®), solution buvable à base de cannabidiol issu de la plante, bénéficie également d’une ATU nominative pour les épilepsies chimio-résistantes de l’enfant (syndromes Lennox-Gastaud et Dravet).
>Seul à bénéficier d’une AMM accordée en 2014, le Sativex® (nabiximols), spray à buccal à base de THC et CBD indiqué contre les spasticités douloureuses et réfractaires de la sclérose en plaques, reste toujours inaccessible aux quelque 10 000 patients éligibles. Officiellement, faute d’accord sur son prix.
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