C’est un débat de longue date que viennent alimenter les résultats d’une étude française publiée dans The New England Journal of Medicine. L’essai Abyss s’est intéressé à l’intérêt du traitement au long cours par bêtabloquants (BB) après un infarctus du myocarde (IDM) chez les patients avec fraction d’éjection (FEVG) d’au moins 40 % ; les résultats sont par ailleurs présentés au congrès de la Société européenne de cardiologie (ESC) 2024.
Si une précédente étude publiée dans cette même revue, l’essai Reduce-AMI, avait conclu à l’absence de réduction du risque de décès ou de nouvel IDM avec le traitement par BB, Abyss conclut à l’absence de non-infériorité de l’arrêt comparé à la poursuite des bêtabloquants. Des résultats qui, s’ils semblent peu tranchés, apportent tout de même leur pierre à l’édifice, comme en atteste le Pr Tomas Jernberg dans l’éditorial de la revue.
L’étude Abyss est coordonnée par le groupe Action de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et financé par le ministère de la Santé.
Des patients traités par BB depuis trois ans en médiane
Les résultats d’Abyss étaient très attendus puisque l’essai évalue l’interruption versus la poursuite des BB, chez des patients avec fraction d’éjection supérieure à 40 % (contre 50 % dans Reduce-AMI), et en incluant des bêtabloquants non sélectifs (Reduce-AMI n’a pris en compte que les bêtabloquants sélectifs des récepteurs B1). De plus, le design d’Abyss est en ouvert chez des patients traités par BB depuis des années après un IDM (Reduce-AMI a comparé des patients traités par BB ou non après un IDM).
Les auteurs ont inclus 3 698 patients de 49 centres (âge médian de 63,5 ans) assignés, soit au groupe avec interruption (n = 1 846), soit à celui avec poursuite de leur traitement par BB (n = 1 852) qui avait été initié après un IDM ; le délai médian entre le dernier IDM et l’inclusion était de 2,9 ans et le suivi médian de 3 ans. Les patients inclus n'avaient pas d'antécédent d'événement cardiovasculaire au cours des six mois précédents.
Pour le critère d'évaluation principal, un composite de décès, d’IDM non fatal, d'accident vasculaire cérébral non fatal ou d’hospitalisation pour des raisons cardiovasculaires lors du suivi le plus long (minimum 1 an), les auteurs retrouvent 23,8 % d’événements dans le groupe interruption contre 21,1 % dans le groupe poursuite (HR = 1,16). Pour le critère secondaire, l’évolution de la qualité de vie, ils relèvent que l’interruption n’a pas semblé l’améliorer.
Des résultats qui ne découragent pas l’arrêt des bêtabloquants
Pour les auteurs, les résultats « doivent être considérés dans le contexte des résultats de Reduce-AMI qui a suggéré que les BB oraux qui ont été initiés pendant la phase aiguë de l'infarctus du myocarde n'entraînaient pas un risque plus faible de décès ou de nouvel infarctus du myocarde, une constatation qui concorde avec les nôtres en ce qui concerne ces critères de jugement ».
Dans l’éditorial, le Pr Jernberg mentionne le design en ouvert d’Abyss qui biaise le critère d’hospitalisation pour des raisons cardiovasculaires. « Ce qui est important c’est de regarder les décès dans les deux groupes, à savoir 4,1 % dans le groupe interruption et 4 % dans le groupe poursuite, qui ne sont pas des critères subjectifs comme peuvent l’être les hospitalisations ou le risque récurrent d’angor quand le clinicien sait que le patient est coronaire et a eu des BB », analyse le Dr Florian Zores, cardiologue à Strasbourg, qui revient pour le Quotidien sur les résultats d’Abyss et de Reduce-AMI.
Le cardiologue rejoint le Pr Jernberg et estime que les résultats de l’étude ne découragent pas de tenter l’arrêt des BB après un IDM hors situations complexes. « Le fait que les bêta-bloquants aient un profil d'effets acceptables ne peut être la seule raison d'initier ou de poursuivre le traitement », argumente Jernberg. Tous deux attendent également les résultats de deux autres essais (Reboot et Betani-Danblock) qui devraient arriver prochainement, ainsi que des essais uniquement dédiés aux FEVG comprises entre 40 et 49 % .
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