Sur une population de 10 000 travailleurs exposés à une dose occupationnelle d’irradiation moyenne de 16 mGy, 1,3 des 25 décès par leucémie (hors leucémie lymphoïde chronique) rapportés au cours d’une période de 35 ans est attribuable à l’exposition professionnelle aux rayonnements ionisants. C’est la conclusion de l’étude épidémiologique internationale Inworks, qui rassemble des cohortes françaises, américaines et britanniques d’employés dans l’industrie nucléaire, totalisant 300 000 individus travaillant à partir de 1940 et suivis depuis les années 2000.
La cohorte française Inworks est conduite par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et compte plus de 59 000 travailleurs du CEA, d’EDF et d’Orano réalisant des activités de préparation du combustible, recherche, production d’électricité ou encore retraitement des combustibles irradiés.
Les résultats publiés le 30 août dans la revue The Lancet Haematology montrent que le risque de décès par leucémie (hors leucémie lymphoïde chronique considérée comme non radio-induite) augmente proportionnellement à la dose cumulée par les travailleurs au cours de leur carrière professionnelle. Ils confirment également qu’aux faibles doses les risques sont faibles. « Le but de cette publication est, grâce à la longue durée de suivi de la cohorte, d’apporter une stabilité d’interprétation. Avec 10 ans de suivi supplémentaires par rapport à nos précédents résultats de 2015, le nombre de cas de leucémie a quasiment doublé, ce qui nous donne une bien meilleure puissance statistique », explique Dominique Laurier, chef du service de recherche sur les effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisants et coauteur de l’étude.
Des résultats qui confirment les précédents
L’étude montre que le risque de développer une leucémie non lymphoïde chronique augmente d’environ 26,8 % (intervalle de confiance à 90 % : 11,3 à 45,5 %) pour une augmentation de la dose cumulée absorbée par la moelle osseuse de 100 mGray (mGy). Ces résultats confortent ceux obtenus en 2015 (29,6 % ; intervalle de confiance à 90 % : 11,7 à 52,1 %), avec un gain de précision dans l’estimation du risque, comme en témoigne l’amplitude réduite de l’intervalle de confiance. C’est cette relation dose-réponse qui permet d’évaluer l’excès de risque relatif (ERR) par Gray à 2,68 ; sans corrélation significative à ce jour avec l’exposition aux neutrons, l’âge de la personne ou la période d’embauche contrairement aux cancers solides.
Dans les sous types de leucémies, on retrouve une surmortalité particulièrement élevée dans la leucémie chronique myéloïde (ERR = 9,57) et les syndromes myélodysplasiques (ERR = 3,19). Pour le myélome multiple (dont la fréquence est plus élevée de 16,2 % par 100 mGy par rapport à la population générale), la surmortalité est plus faible mais présente (ERR = 1,62). Aucune corrélation n’a été observée pour les lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens et de la leucémie lymphoblastique aiguë.
« Dans le cas des leucémies, ce sont des résultats qu’on attendait. À l’inverse, nous sommes un peu plus surpris par l’association positive du myélome multiple. Mais pour ce dernier, nous manquons encore de recul, la tendance devrait se confirmer dans les années à venir mais il faut consolider la puissance statistique », commente Dominique Laurier. Il nuance aussi les conclusions portées sur les lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens dont l’interprétation est « encore plus délicate que les myélomes multiples ». Si les observations sont cohérentes avec d’autres études, le niveau de preuve reste insuffisant à ce jour.
Le risque de mortalité liée aux leucémies est bien identifiable mais est faible en valeur absolue. On notera par ailleurs que l’augmentation du risque n’est significative qu’à des doses supérieures à 200 mGy (avec une moyenne à 16 mGy, les doses auxquelles les travailleurs sont exposés varient entre 0 et 800 mGy environ).
Un suivi de cohorte à maintenir dans le temps
Ces résultats justifient l’usage d’une protection radiologique des populations exposées aux faibles doses de rayonnements ionisants (travailleurs de l’industrie nucléaire, personnels médicaux etc.). Les connaissances quant à une exposition aux rayonnements ionisants étalée dans le temps permettront d’informer les standards de radioprotection. « Nous ne montrons pas des risques inconnus mais nous confirmons que les risques pris en considération en radioprotection ne sont pas seulement théoriques mais bien observés. » indique Dominique Laurier. Ce sont des effets peu élevés mais qui s’étalent dans le temps. Puisqu’ils surviennent et s’expriment des années après l’exposition, il est important de continuer le suivi de patients pour aboutir à une vision globale des risques.
Le chercheur explique par exemple que, dans le suivi des survivants d’Hiroshima et Nagasaki par l’ONU (Unscear), de nouveaux résultats émergent encore aujourd’hui. « Depuis ces dernières années, des résultats solides émergent pour le cancer de la prostate dans ces populations alors qu’ils n’étaient pas significatifs jusqu’alors », indique le spécialiste. Il est donc tout à fait pertinent de continuer le suivi à très long terme d’Inworks. En 2019, 58 % des 400 000 travailleurs étaient surveillés par l’IRSN pour leur exposition professionnelle aux rayonnements ionisants, et l’institut suit depuis presque 10 ans la cohorte O'Ricams dédiée aux personnels médicaux.
Rayonnements ionisants dans le médical : une exposition stable en 2023
L’IRSN a publié le 10 septembre son bilan 2023 de la surveillance des expositions professionnelles aux rayonnements ionisants. Pour les travailleurs du domaine médical, dans tout le corps, la dose individuelle moyenne est globalement stable depuis 2015, sauf en 2020 où elle a diminué. Elle est plus élevée dans les secteurs du transport de sources à usage médical et de la médecine nucléaire. Pour les doses collectives ce sont les secteurs de radiologie interventionnelle (1 365,72 homme.mSievert [mSv]) et de radiodiagnostic (1 536,16 homme.mSv) qui sont les plus touchés.
L’exposition du cristallin et la dosimétrie des extrémités continuent leur baisse de 2022. Finalement, l’année 2023 a été marquée par 7 dépassements de la limite réglementaire de doses, autant que l’année précédente. Le nombre total d’événements recensés est en diminution globale comparé à 2022 et à la période 2015-2018, mais a augmenté par rapport à 2019-2021. En hausse en radiologie interventionnelle, il recule en médecine nucléaire et en radiothérapie. On notera tout de même des chiffres un peu moins exhaustifs que les années précédentes. La refonte de la base de données de recensement Siseri a entraîné une diminution de l’enregistrement des travailleurs « non classés » puisqu’ils n’ont plus d’obligation réglementaire d’y figurer.
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