Comment avez-vous vécu la crise ?
Anne Meunier, secrétaire générale du Syncass-CFDT :
La crise a permis de mettre la loupe sur les effets d’une politique de plus de dix ans de rabot budgétaire et de plans d’économies. Nous devons d'abord prendre le temps de faire le bilan, sans passer à des solutions toutes faites, qui seraient mâtinées des mêmes travers idéologiques qu’avant cette crise inédite. Et la phase de reprise des activités différées ne sera pas moins complexe. Après cette crise, qui a vu les professionnels de santé, médecins et paramédicaux largement contribuer, avec les directeurs, à réorganiser très rapidement les établissements, je ne suis pas certaine que tous en tireront la conclusion qu’il faudrait limiter le rôle des directeurs à l’intendance. Ce dont nous témoignent les collègues, c'est au contraire que la gouvernance actuelle s’est adaptée à la situation et qu’elle a bien fonctionné, démontrant son efficacité.
Maxime Morin, directeur du CH de Roubaix et secrétaire général adjoint du Syncass-CFDT :
On nous a dit : "ce n’est plus une question d'argent". Il faudrait en tirer les conséquences. Dès qu'il n'est plus question de raboter systématiquement sur les moyens, on trouve très facilement des modalités partagées de fonctionnement et de gouvernance. Certains ont estimé que la gouvernance fonctionnait bien en cellule de crise grâce à la présence d’un directeur médical de crise. Mais cette fonction est liée à la nécessité de prendre des décisions médicales (orientation de patients par exemple) qui ne peuvent l’être que par les médecins. Et les directeurs ont piloté les adaptations indispensables que la crise imposait. Alors là aussi, le fonctionnement a été possible et l’hôpital a tenu parce que chacun était justement dans son rôle.
Quelles réformes sont nécessaires ?
Anne Meunier :
L'hôpital a besoin de retrouver de l'attractivité à tous les niveaux, médical, paramédical, mais aussi pour les directeurs. Cela passe par des moyens. Les soignants en France font partie des professionnels de santé les moins bien payés des pays de l'OCDE, par rapport au salaire moyen de leur pays. Cela passe par un Ondam qui permette de retrouver des marges de manœuvre, avec une politique active et programmée sur les rémunérations, les grilles, les groupes d'emplois et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour l'hôpital. Il y a aussi une dimension de dialogue social, qui est le parent pauvre à l'hôpital public, non du fait des personnes qui le mènent, mais du manque d’outils et de moyens pour agir. Il faut instaurer dans le dialogue social des logiques d'accord, de gagnant-gagnant, et cela suppose aussi des marges de manœuvre… Ce que la crise a démontré, c'est qu'en matière de protection sociale au sein la fonction publique hospitalière, il faut aller au bout des promesses ministérielles, mais qui figurent aussi dans la loi, sur l’accès à une couverture complémentaire santé, avec une part prise en charge par les employeurs. Car aujourd'hui, contrairement au secteur privé, cela n’existe pas pour les personnels qui nous soignent !
Parmi ce qui n'a pas bien marché, il y a aussi les liens entre les GHT et le médico-social, en tout cas pas assez rapidement et agilement. La crise a confirmé que la focalisation du GHT sur le sanitaire n'est pas adaptée. La « chaîne de commandement » ministère-ARS-établissement support du GHT n’a pas été la panacée sur l’ensemble des territoires. Un enseignement à en tirer sera que la place de l'hôpital de proximité doit être absolument relue à l'aune de ce qui vient de se passer, de façon qu'aucun établissement médico-social ne se retrouve plus jamais isolé, comme ils ont pu l'être dans la distribution du matériel de protection, dans la transmission des consignes de crise, dans les réponses à leurs questions, dans l’organisation des filières. L’absence de réaction des pouvoirs publics pendant au moins les quatre premières semaines a eu des effets dramatiques.
Faut-il supprimer l’Ondam ?
Anne Meunier :
Le Parlement traite l'Ondam de manière déconnectée de la politique de santé en France. Il faudrait d’abord définir comment répondre aux besoins de santé, au-delà de la seule stratégie nationale de santé (en commençant par la prévention), puis en tirer les conséquences sur le niveau de l'Ondam, qui n’est qu’un outil et qui prendra alors toute sa valeur. Supprimer l'Ondam n’est pas la question du moment, car cela ne signifierait pas nécessairement un meilleur niveau des ressources. Après des années de pression, un rattrapage s’impose.
Maxime Morin :
Sur le terrain, la demande très forte est la reconnaissance des efforts accomplis par notre secteur. La manière dont le gouvernement va s’y prendre en donnera le la. Les annonces restent une distribution de primes, avec un système à deux niveaux : ceux qui auraient été plus exposés ou auraient plus participé, et les autres. Et le sanitaire primant (comme toujours malheureusement) sur le médico-social. Les réponses de ce type ont beaucoup irrité les personnels hospitaliers ces dernières années. Car ils n’attendent pas une prime au mérite, mais une reconnaissance exceptionnelle dans une crise exceptionnelle. Le choix du gouvernement n'est pas la bonne réponse, car il y a une très forte demande d’égalité au sein de l'hôpital public. Nous sommes attachés aux grilles statutaires, non parce que nous sommes de vieux machins, mais parce que la grille statutaire nous apporte une garantie de traitement égal pour tous et que nous sommes le plus souvent dans le travail d’équipe. Envisager de couper la France en deux dans la distribution des niveaux de primes est dès lors absurde et ce serait méconnaître les effets de la crise sur l’ensemble des personnels de la fonction publique hospitalière. L'ouest de la France a également dû se réorganiser vite et bien.
Remettez-vous en cause le rôle des ARS qui ont été jugées défaillantes dans cette crise ?
Anne Meunier :
Il y aura beaucoup à revoir sur la conception et le fonctionnement des ARS. À la CFDT et au Syncass, nous avions été défenseurs de la mise en place des ARH puis des ARS, mais en n’oubliant jamais que leur mission était la planification et la régulation de l’offre. Or elles sont devenues, au fil du temps, d'énormes usines, notamment avec le regroupement des régions par la loi NOTRE, qui a entraîné des fusions. Cela les a éloignées encore plus du terrain et a rompu définitivement la cohérence qui avait été maintenue lors du passage Drass-ARH-ARS. Il faut également souligner que, depuis leur création, les ARS ont aussi perdu des centaines d'emplois du fait des économies imposées par l'État à tous ses opérateurs. Les économies générées ont tapé dans le dur des compétences. Mais le niveau des effectifs ne fait pas tout, la conception même de leur rôle s’est perdue dans une volonté de pilotage serré des établissements et des acteurs et cela depuis la loi HPST. Là aussi, le critère budgétaire est devenu l’obsession.
Maxime Morin :
Les ARS durant cette crise ont été très mobilisées par le ministère pour assurer des remontées d'information : nous avons eu beaucoup de questionnaires et d'enquêtes. Pourquoi ? Car elles sont conçues plus pour être au service de l’administration centrale et du ministère qu'à celui des établissements et des acteurs de terrain.
Cette crise aura été celle de la modélisation d'un fonctionnement où les ARS ont parlé presque exclusivement aux établissements supports des GHT, qui ont été par exemple obligés d'assurer la logistique de la distribution des masques, alors qu'ils n'en avaient pas fait la demande. Cette confusion des rôles a concerné les ARS elles-mêmes. Elles ont une mission de régulation et non de gestion opérationnelle. Les relations avec les établissements se sont concentrées sur ceux supports de GHT, les activités de recensement et de coordination interne des ARS laissant peu de place aux relations avec les autres établissements. Les ARS couvrent par ailleurs un champ énorme (hôpital, Ehpad, médico-social, libéraux, sécurité sanitaire…). La crise a révélé qu'elles n'étaient pas dans la capacité d’assurer une coordination aussi large. Bref, il n'est pas facile de transformer une entité qui vérifie, contrôle, inspecte tout à coup celle qui alimente et distribue des moyens, répartit sur des territoires immenses, organise les transferts de patients… La critique contre les ARS vient aussi des élus locaux, qui n'ont jamais été de fervents partisans de ce modèle, considérant que cet outil les éloignait du terrain. Ajoutons que les personnes ne sont généralement pas en cause, ce qu’il faut revoir avant tout, c’est la définition d’un système trop hiérarchisé et trop descendant, qui ne laisse pas d’initiative suffisante et de subsidiarité dans la réponse de proximité. Une révision profonde de leur rôle doit être entreprise.
Êtes-vous favorables à une révision des périmètres de GHT pour une meilleure intégration ville/hôpital/médico-social ?
Anne Meunier :
Les très grands ensembles ont été privilégiés, pour répondre à la stratégie des groupes publics qui était un projet fortement défendu, notamment par la FHF, mais qui a donné lieu à des GHT impraticables, de taille XXL, comme on les a dénommés. Sans jamais que l’État assume que son objectif était l'intégration à visée d’économies d'échelles et de concentration de la « chaîne managériale ». On n'a pas joué franc jeu avec nous, prétendant organiser la coopération à travers un modèle réglementaire obligeant à l’intégration, à travers l’incitation à de grands GHT qui n'ont parfois aucun sens. Personne ne saura nous dire combien d'économies - ou de dépenses supplémentaires - ont été générées par leur mise en place… Mais cela ne signifie pas que la coopération, elle, soit inutile. Les directeurs sont nombreux à témoigner dans certains GHT du rôle positif qu’ils ont joué : depuis la question de l’approvisionnement et de la logistique à celui de la gradation des soins entre établissements du GHT.
Maxime Morin :
Cela fonctionne bien quand il n'y a pas d'objectif caché, comme celui de la boulimie des plus gros établissements à « manger » les petits. On l'a vu pour les représentants des ARS en période de crise : il est évidemment plus facile pour eux de faire des réunions avec 10 ou 12 représentants d’établissements supports de GHT qu’avec 100 à 150 directeurs d'établissements, mais ce n'est pas forcément plus confortable. Certains périmètres sont absurdes, mais le ministère ne veut pas y toucher lui-même. On doit donc accepter que certains GHT fonctionnent bien et d'autres non, ce qui n'est pas bon pour les populations desservies. La logique des GHT de 2016, maintenue coûte que coûte malgré l’alternance politique doit être réinterrogée. Le sujet reste posé ainsi : le GHT d’accord, mais selon quel modèle et pour faire quoi ?
Comment jugez-vous la contribution des directeurs à la crise ?
Ils ont fait leur travail dans des conditions très complexes. Les directeurs méritent aussi leur part d'applaudissements, comme les soignants. Beaucoup sont sur les genoux. Certains de nos collègues ont été contaminés et ne sont pas encore rétablis. Un petit mot de reconnaissance et de soutien pour les directeurs de la part de notre ministre aurait été apprécié.
À partir de quand seront prises les mesures de réforme de la santé ?
Il ne se passera rien avant septembre. Toutes les négociations ont été arrêtées. Le bilan se fera entre septembre et décembre, mais il serait fou d’imaginer que l’on reprenne les discussions sur la loi de santé notamment, dans l’épure d’avant. Un des premiers rendez-vous sera celui du PLFSS 2021. Sur le sujet spécifique de reconnaissance des professionnels, la réponse doit être vite apportée par les pouvoirs publics. Les annonces ont été faites sur la prime exceptionnelle et la reconnaissance du Covid-19 comme maladie imputable au service, mais les textes d’application tardent. Entre les annonces et leur traduction il y a bien souvent beaucoup trop de temps et les pouvoirs publics doivent être vigilants à ce sujet. Souvenons-nous que cette crise sanitaire est survenue dans la suite immédiate d’une longue crise sociale à l'hôpital.
Anne Meunier :
Attention à ne pas créer des inégalités, par exemple dans la reconnaissance automatique comme maladie professionnelle annoncée par Olivier Véran pour les seuls soignants. Cela n'inclut pas des professions non moins exposées, surtout sans équipements de protection réservés en priorité aux soignants : les brancardiers, les personnels d’entretien, des admissions, de logistique… Il faut plutôt prendre en compte l'ensemble des personnels qui travaillent au sein de la communauté hospitalière. Ces sujets sont extrêmement sensibles.
Si notre système hospitalier a su si bien s’adapter et rapidement, c'est aussi parce que les facultés d’adaptation de l’hôpital public ont été démontrées au fil de la succession de réformes qui lui ont été imposées. Pour nous la question du statut de l’hôpital ne se pose pas et n’est sûrement pas prioritaire. Mais en France, on aime ces vieilles lunes, sorties des placards dès lors que l’occasion semble propice. Nous ne voulons pas sortir du statut de l’hôpital public pour celui de l’Espic, et nous refusons son corollaire, qui serait de passer du statut de la fonction publique à la convention collective. Tout cela relève de l’idéologie désuète mais qui perdure, qui voudrait voir et gérer l'hôpital public comme une entreprise… Les dérives déjà appliquées en ce sens n’ont conduit qu’à le fragiliser davantage. Les urgences à traiter aujourd’hui sont bien autres. Faisons maintenant la place au bilan, qui passe par la prise en compte de l’expérience des équipes et dont elles doivent pouvoir témoigner, tirons-en les leçons nécessaires et n’oublions pas les promesses du président de la République envers notre secteur.
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