LE QUOTIDIEN : Comment en êtes-vous arrivé à intégrer la médiation en santé dans votre exercice ?
Pr OLIVIER BOUCHAUD : Déjà en tant qu’interne puis jeune médecin, j’ai constaté un grand nombre d’échecs dans nos parcours de soins. Des patients ne se présentaient pas à une consultation prévue ou à une hospitalisation programmée. Même si rien n’exclut qu’ils réapparaissent dans un autre circuit, c’est parfois très tardivement, et pendant ce temps, leur état peut s’être dégradé. En tant que médecin, on oublie souvent que c’est un échec dans le parcours. Travaillant depuis longtemps avec des populations qui ont un accès aux soins parfois très compliqué, j’étais sensible aux vulnérabilités et fragilités des patients. Et elles sont multiples. Ça peut être le problème de la langue que l’on rencontre avec les migrants par exemple, du handicap aussi. On se rend compte que notre système de santé est assez mal équipé pour l’accompagnement des personnes ayant un handicap. Le grand âge est également un facteur de vulnérabilité dans le parcours de soins, notamment quand ces patients n’ont pas de famille pour les épauler par exemple pour les prises de rendez-vous maintenant que tout passe par le numérique.
Assez vite, je me suis dit qu’il manquait quelque chose dans notre système pour éviter ces échecs ou au minimum ces ralentissements dans la prise en soins et pour contourner ces obstacles. Or j’ai débuté ma carrière d’infectiologue avec le début du VIH et du Sida, et nous avons commencé à voir des personnes qu’on n’appelait pas encore médiateurs qui accompagnaient ces patients lorsqu’ils rencontraient certaines difficultés. Il a fallu attendre les années 2000 pour commencer à parler de médiation.
Quelle définition donnez-vous aujourd’hui à la médiation en santé ?
La loi de janvier 2016 l’a reconnue officiellement mais dans un périmètre assez restreint, puisqu’elle était très ciblée sur les migrants. Puis j’ai été sollicité par la Haute Autorité de santé (HAS) pour participer à la rédaction du référentiel, où avec les autres experts, nous avons œuvré pour élargir le champ. La médiation en santé vise à réduire les inégalités de santé et à contourner les obstacles liés à toutes les fragilités que peuvent avoir des patients en créant des interfaces entre eux et les différents acteurs du système de soins, avec l’objectif d’apprendre aux patients à contourner ces obstacles eux-mêmes pour devenir autonomes. Une des premières étapes consiste à recréer une confiance chez ces personnes qui l’ont souvent perdue vis-à-vis du système de soins mais aussi de l’administration en général. Il ne faut pas oublier également une autre dimension, qui figure dans le référentiel de la HAS : l’information des professionnels de santé. Beaucoup de soignants ignorent les difficultés rencontrées par leurs patients dans leur suivi médical, la médiation permet de leur faire prendre conscience de ces fragilités.
Beaucoup de soignants ignorent les difficultés rencontrées par leurs patients dans leur suivi médical
Quels sont obstacles à son développement dans le système de soins ?
Il y a d’abord des obstacles administratifs. Aujourd’hui, ce métier n’existe pas dans le répertoire des métiers de la santé. Quand j’ai vu le directeur de l’hôpital pour créer le premier poste de médiateur dans le service, il a fallu lui expliquer en quoi ça consiste et le convaincre de l’intérêt. Puis, nous nous sommes heurtés aux difficultés administratives, car la case « médiation en santé » n’existe pas dans le registre des métiers. Notre première médiatrice était infirmière et administrativement, elle l’est toujours. D’autres utilisent la dénomination « chargé de projet »… Avec le collectif pour la promotion de la médiation en santé (CPMS), pour lequel j’ai participé à la création, nous demandons que ce soit reconnu officiellement parmi les métiers de la santé et de l’autonomie. Se pose aussi la question du financement. Si on crée des nouveaux métiers et des nouveaux postes, il faut pouvoir les financer. Il faut que les pouvoirs publics prennent conscience que les obstacles de parcours de soins coûtent extrêmement chers à la collectivité. Si un patient n’est pas pris en charge suffisamment tôt ou sort du système, quand il y reviendra, les coûts seront plus importants. Il faudrait financer une ou plusieurs études de suffisamment grande envergure pour démontrer les coûts de ces échecs et les gains que l’on pourrait tirer de cet accompagnement par la médiation en santé.
Vous avez cinq médiateurs en santé dans votre service. En quoi consistent leurs postes ?
Dans mon service des maladies infectieuses et tropicales, nous avons mis en place il y a environ six ans, un premier poste pour faciliter les sorties d’hospitalisation des personnes précaires. Depuis nous avons également créé d’autres postes, notamment pour accompagner des personnes migrantes, infectées par le VIH et qui ne connaissent pas le système. Il s’agit de leur expliquer les démarches, voire de les accompagner physiquement pour en réaliser certaines, et faire du soutien psychique pour ces personnes qui ont bien souvent complètement perdu l’estime d’elle-même. Grâce à un financement de l’ARS et de la Fondation MNH, nous avons emmené une dizaine de ces patients pour un week-end d’équithérapie qui a été très bénéfique. Par ailleurs, nous avons créé un autre poste de médiateur pour un bus santé, qui fait depuis un an de l’aller-vers les personnes éloignées du soin dans plusieurs communes de Seine-Saint-Denis.
Est-ce facile d’intégrer ces nouveaux postes dans un service ?
Par définition, un médiateur en santé va travailler en interface avec les autres métiers. Il peut y avoir au début quelques frictions ou incompréhensions liées à ce poste. Il doit avoir des compétences dans le système social, des connaissances dans le champ médical… Ce côté multifacette peut le faire entrer en conflit avec des soignants qui ont peur de se faire prendre leur travail. Il faut que chacun comprenne les bénéfices qu’il peut en tirer dans son exercice. Ce sont des situations assez similaires à celles vécues avec la mise en place des premiers postes de protocoles de coopération, ou des infirmières d’éducation thérapeutique. Une fois que toute l’équipe a compris ce bénéfice, tout se passe bien.
Il faut absolument que la médiation en santé s’infiltre dans la médecine libérale
Est-ce accessible aussi à la médecine de ville ?
Il faut absolument que la médiation en santé s’infiltre dans la médecine libérale. La question est de savoir comment cela va être financé. On ne peut pas imaginer que chaque médecin ait un médiateur dans son cabinet. Mais pourquoi pas, une plateforme avec un nombre défini de médiateurs qui seraient mobilisables quand un praticien a un besoin pour un patient. Pourquoi pas à l’échelle d’une maison de santé pluriprofessionnelle. Cela pourrait aussi être au niveau des CPTS et des départements.
Vous êtes à l’origine de la formation Médiation en santé à l’Université Sorbonne Paris Nord. Qui sont les médiateurs ?
Il est très important de comprendre qu’il y a 1 000 manières différentes de faire de la médiation en santé. Les profils peuvent donc être très variables, en fonction des populations et des objectifs définis. Dans le DU [diplôme universitaire, NDLR], nous avons des candidats de Bac – 5 à Bac + 5 ! Un tiers exerce déjà dans le domaine mais sans formation théorique, un tiers est constitué de soignants qui veulent redonner plus de sens à leur pratique et le dernier tiers est composé de personnes venant d’univers très différents et pas forcément du secteur de la santé. Une compétence importante pour devenir médiateur est la capacité à se décentrer, c’est-à-dire à accepter que son système de représentation de la santé, de la maladie mais aussi culturel n’est pas le seul ni le meilleur. Le DU repose sur une semaine de cours par mois entre janvier et juin, puis 15 jours de stages dans une structure. Depuis la création de cette formation pionnière en France, nous avons vu d’autres DU se créer, notamment en Guyane, plus récemment à Bordeaux. De grosses associations comme Médecins du monde ont aussi leur propre système de formation.
Propos recueillis par Aurélie Dureuil
*La MNH est actionnaire du Quotidien du Médecin
Repères
1985
Début de l’internat comme gastro-entérologue puis infectiologue.
1990
Participe à la création de l’association La Plage qui accompagne des personnes issues de l’immigration vivant avec le VIH.
Janvier 2016
La loi de modernisation de la santé introduit la « médiation sanitaire et l’interprétariat linguistique ».
Octobre 2017
Publication par la HAS d’un référentiel sur la médiation en santé pour les personnes éloignées des systèmes de prévention et de soins.
2018
Participe à la création du DU médiation en santé à l’Université Sorbonne Paris Nord.
2024
Reçoit le prix d’honneur de la Fondation MNH.
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