Quand le bon sens et l’ouverture d’esprit coopèrent, ils produisent parfois des petits miracles, tout simples, mais qui peuvent changer la vie des Hommes. Agnès Buzyn, notre nouvelle ministre de la Santé, devrait regarder de près l’étude dirigée par (2) du laboratoire AGEIS (3) de l’université Grenoble-Alpes (UGA). En effet, par ses résultats, son sujet - le mal de dos au travail - ses modalités procédurales, conformes aux préceptes de Claude Bernard et de la médecine expérimentale, ladite étude ouvre grand le champ des possibles en matière de prévention par des moyens aussi lumineux qu’ils sont simples. Efficacité, économies, productivité, l’alliance du bien contre le mal. Un combat nietzschéen.
Ne jamais tourner le dos aux problèmes
Les troubles musculo-squelettiques, communément appréhendés sous les appellations de mal de dos, douleurs de hanche ou de genoux, sont un fléau dans le monde du travail et de plus en plus chez les personnes en surpoids (4 % des travailleurs, deuxième cause de consultation, 10 % de passage à la chronicité, première cause d’invalidité avant 45 ans, troisième cause d’invalidité au total, 170 000 arrêts de travail (30 % des arrêts longs), pour un coût supérieur à 1 milliard d’euros et 600 millions pour les indemnisations des séquelles pris en charge par l’assurance maladie (Sources Cnam). Jusqu’alors, l’État et ses agences, bien en peine de créativité scientifique, n’ont proposé que recommandations théoriques désincarnées en médiane gaussienne. Tout sauf du pratique et du sur-mesure. Comme disait Henry Ford, « les clients peuvent choisir la couleur [de mes modèles T] de leur choix du moment que c’est le noir ». Circulez il n’y a rien à voir.
Et la lumière fut
On fait du vin au Château Larose-Trintaudon depuis 1719 et surtout depuis 1838 depuis que Henry Delaroze a créé un vignoble sur le relief de Trintaudon dans le Haut Médoc sur un terroir de graves. En 1870, le comte Ernest de Lahens fait construire le château de Trintaudon qui domine, tel un phare dans un océan de vignes, pas moins de 345 ha. Les AGF (Assurances générales de France), désormais Allianz, rachètent le domaine en 1986 pour lui redonner ses lettres de noblesse et plutôt avec succès. Voilà pour l’Histoire.
Faire du bon vin suppose toute une chaîne de savoir-faire qui ne se limite pas, loin s’en faut, à une étiquette sur une bouteille pieusement conservée à 13°. A la base, il faut récolter le fruit de la vigne, les grappes gorgées de soleil. Autant de petites mains affairées, de dos ployés sous la charge, de postures anti-physiologiques. On connaît la suite, maux de dos, positions vicieuses, contractures, arrêts de travail, mauvaise ambiance, perte de productivité, etc. À l’époque d’Autant en emporte le vent sous la plume de Margareth Mitchell, on aurait simplement changé les esclaves ou augmenté la fréquence des coups de fouets. Mais voilà, il n’est pas interdit d’être intelligent et de se poser les bonnes questions. Un beau matin de 2012, le responsable du domaine, Franck Bijon, engagé dans une démarche d’amélioration continue des conditions de travail, contacte directement Nicolas Vuillerme sur la base de la réputation du laboratoire AGEIS. Sa question est aussi simple qu’elle est complexe : « Peut-on mettre en place une méthode afin de réduire les douleurs musculaires de ses salariés vignerons pour qu’ils soient moins en arrêt maladie ? » On parle de 1 200 jours perdus parmi 60 salariés quand même. Les deux se mettent d’accord sur deux points, transparence et diagnostic. Dès lors, le domaine organise une opération portes grandes ouvertes. Tout doit être passé au crible avant de préconiser une intervention adaptée et ciblée. Les risques sont pointés par Nicolas Vuillerme et son équipe en l’avertissant que « certaines conclusions pourraient mettre en lumière des facteurs psychologiques et managériaux de stress et de risques psychosociaux au sein de son exploitation ». Réponse de la direction du domaine : « Il n’y a aucun problème. » L’affaire est conclue et l’étude diagnostique est conduite de façon complète et en toute liberté.
Ça vous gratouille ou ça vous chatouille ?
« Notre démarche consiste à évaluer s’il vaut mieux prévenir que guérir, et cela passe par une meilleure prise en charge des conditions de travail en amont pour éviter autant que possible l’apparition des pathologies musculo-squelettiques. En parallèle, nous conduisons des études médico-économiques pour évaluer l’intérêt, et dans quelle mesure, de l’investissement dans la prévention », déclare Nicolas Vuillerme. Le travail a été mené sur deux ans, dans le cadre du master Staps (4) MPSI (5). La première année, Romain Balaguier, alors étudiant en master, a participé au diagnostic ergonomique. Les vignerons ont été suivis individuellement pendant six mois afin d’évaluer les facteurs biomécaniques et psychosociaux liés à leur travail. Pour la partie biomécanique, les situations de travail in situ ont été filmées (17) pendant l’activité de taille, de carasonnage, d’acanage, de pliage, de callage et d’epamprage, . Les vignerons ont aussi été équipés de capteurs pour analyser les mouvements et activités musculaires. Pour la partie psychosociale, des entretiens semi-directifs ont été organisés avec les vignerons, mais également avec le directeur et le chef d’exploitation. Toutes ces données ont été stockées chez un hébergeur agréé de données de santé (HADS) afin d’être quantifiées, objectivées et analysées. Les premières conclusions de cette étude ont incité les chercheurs à se focaliser dans un premier temps sur des douleurs musculaires lombaires, une région où les contraintes biomécaniques lors de l’activité dans la vigne sont considérables. Les résultats de cette première étape d’évaluation diagnostique, ont permis de concevoir et de mettre en œuvre une intervention dans le but de réduire ces lombalgies.
De la théorie à la pratique
Cette intervention a été mise en place la deuxième année par deux étudiants en master (Romain Balaguier et Kévin Rose-Dulcina). Pendant cinq mois et à hauteur de deux fois par semaine, un groupe de vignerons volontaires a participé à un programme d’activités physiques adaptées. Cette séquence comportait des échauffements adaptés à l’activité avant la journée de travail et des séances de renforcement musculaire individualisé après la journée de travail. La condition physique (endurance et souplesse des muscles du tronc), l’intensité des douleurs lombaires et la qualité de vie perçues des vignerons ont été évaluées à différents moments du programme (avant, pendant et après). En cinq mois, ce programme s’est révélé significativement efficace, en particulier sur la diminution des douleurs lombaires. Une véritable hygiène de travail s’est mise en place. In fine, les vignerons se sont faits les auto-prosélytes de la méthode, alors qu’au départ, certains, souvent déçus par des interventions antérieures, étaient plutôt sceptiques. D’un point de vue social, ces entraînements en groupe ont rapproché les participants, pourtant travaillant généralement seuls dans la vigne du matin au soir. Huit semaines d’entraînement adapté auront suffi à changer leur vie quotidienne.
Et si l’avenir était au fond du verre
Alors que nous sommes contraints économiquement, que la France vieillit et que nous devons faire face à l’accès à la santé des seniors plus qu’aux soins des populations plus jeunes, la prévention émerge comme une évidence. Reste à mettre en place ce changement de paradigme dans un pays connu pour des habitudes orthogonales. Le cas cité dans cet article démontre que des solutions simples sont à portée de main à la condition qu’elles répondent à des besoins, qu’elles respectent les usages des patients dans la vie réelle et non dans un monde théorique, l’organologie statique comme on la caractérise en physique à l’école, dans le vide absolu, à zéro degré Kelvin, sans frottement, dans les conditions de gravité nulles, toutes choses « évidentes » à reproduire chez soi. L’exemple décrit plus haut a su faire converger des patients acteurs, un employeur soucieux de leur santé, une université et quelques étudiants concernés, intelligents et agiles. Cette transversalité, portée par un objectif commun, démontre que la santé n’est pas exclusive de la productivité, qu’elle peut économiser des ressources publiques et créer des emplois. Ça se fête non ?
Allez, à votre santé !
(1) Écrivain et naturaliste, né à Côme en 23 et mort en 79 Av J-C à Pompéi lors de l’éruption du Vésuve.
(2) Enseignant-chercheur en sciences et techniques des activités physiques et sportives de l’université Grenoble-Alpes.
(3) AGEIS : Autonomie, gérontologie, e-santé, imagerie & société.
(4) STAPS : Sciences et techniques des activités physiques et sportives.
(5) MPSI : Mouvement performance santé ingénierie.
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