« La recherche médicale a amorcé un énorme virage technologique que certains qualifient de révolution. Au final, la e-santé reste un domaine très immature, qui va très vite et où il n’y a aucune stabilité. À l’heure actuelle, cela pose plus de questions que ça n’apporte de réponses », considère le Dr Guy Fagherazzi, spécialiste des objets connectés en épidémiologie à l’INSERM et membre du comité scientifique du congrès e-Health Research qui s’est dernièrement tenu à Paris.
Pour le Dr Fagherazzi, l’intégration des nouveaux outils e-santé à des fins de recherche soulève de nombreux défis. « Les objets connectés sont clairement des boîtes noires. On n’arrive pas à comprendre les modalités de fonctionnement. À aucun moment, on a accès à l’algorithme de calcul du nombre de pas ou de la qualité du sommeil », souligne le chercheur qui pointe aussi la qualité encore très hétérogène des capteurs intégrés à ces dispositifs. Des contraintes techniques qui impactent clairement la méthodologie des travaux scientifiques, à l’image du projet E4N auquel le Dr Fagherazzi collabore.
Usages en vie réelle
Dans le prolongement de l’étude E3N incluant 100 000 femmes adhérentes à la MGEN, l’étude de cohorte familiale E4N, va suivre les enfants et petits-enfants de certaines de ces femmes dès 2017. Quatre cents participants seront équipés d’un bracelet tracker d’activité Withings dans le cadre d’un partenariat « non commercial » avec cette société leader du secteur e-santé. L’approche des chercheurs se veut ici pragmatique. « On va sortir du cadre très maîtrisé des essais cliniques pour entrer dans une étude observationnelle », évoque-t-il. « Grâce à cela, on va être capable d’identifier les freins et leviers à une utilisation en vie réelle de ces bracelets connectés », explique le Dr Fagherazzi qui entend par ailleurs spécifiquement cibler le champ des pathologies chroniques, en évaluant entre autres l’impact de dispositifs connectés sur la qualité de vie de diabétiques et leur aptitude au changement. Spécialiste de l’acceptabilité des objets connectés à des fins de prévention au sein d’une Chaire de recherche en prévention des cancers INCa/IReSP/EHESP, le Dr Linda Cambon constate une approche encore « très outil » dans l’offre de ces dispositifs e-santé et leur utilisation en pratique.
Objectiver les données
« Le but de la prévention, ce n’est pas de savoir combien de pas on fait. L’enjeu est d’objectiver les données pour entrer dans une dynamique de changement », note le Dr Cambon. « Il y a tout un champ de recherche à développer pour compléter les études d’efficacité avec une approche compréhensive sur la manière dont fonctionnent les dispositifs pour changer les comportements », ajoute le Dr Cambon qui mène actuellement une étude auprès de 5 000 usagers de l’application mobile « Tabac info service ». D’autres projets de recherche émergent concernant l’impact des objets connectés sur le système de soins. « Ces technologies modifient les modes relationnels entre médecins et patients en redistribuant les savoir, en créant un tiers médiateur. Cela invite à reconsidérer les stratégies traditionnelles entre le milieu médical et le patient », estime le Dr Cambon.
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