Les médecins du travail peuvent-ils encore exercer sereinement leur métier ? Une partie de la profession dénonce en tout cas un climat de plus en plus menaçant, à la lumière de récentes affaires où des praticiens poursuivis par des employeurs ont été sanctionnés pour avoir établi un lien entre santé dégradée et travail.
Organisé par plusieurs réseaux associatifs, un débat à la Bourse du travail a illustré le malaise croissant de la spécialité. Le Dr Alain Carré, vice-président de l'Association santé et médecine au travail, se montre très pessimiste. « Nous ne pouvons plus exercer notre profession. Il y a déjà une pénurie de recrutement et l'État affaiblit sans cesse notre fonctionnement, dernier exemple en date avec la loi El-Khomri ».
Relations tendues
Poursuivi par un employeur, le Dr Jean Rodriguez, psychiatre, a écopé d'un blâme ordinal en 2014 pour certificat de complaisance. « Une salariée, licenciée par le groupe Mulliez pour inaptitude, avait présenté aux prud'hommes des courriers médicaux que j'avais rédigés, où je disais qu'elle souffrait de stress post-traumatique suite à du harcèlement moral, raconte-t-il. L'employeur n'a pas apprécié et a déposé une plainte devant le conseil de l'Ordre à mon encontre ». Le Dr Rodriguez recevra un blâme de l'Ordre régional (PACA) en 2014, confirmé en appel malgré sa demande d'annulation. « On m'a dit aussi que je faisais du syndicalisme, pas de la médecine du travail », explique le Dr Rodriguez.
Un autre médecin du travail, le Dr Jean-Louis Zylberberg se déclare lui aussi sous la pression directe d'employeurs. Membre de l'APST, un service de santé au travail pour des entreprises du BTP en Île-de-France, il était menacé de licenciement en raison de relations tendues avec plusieurs entreprises dont il suit les salariés (dont certains faisaient l’objet d’avis d’inaptitude de sa part pour risques psychosociaux).
Double contrainte
Outre l'attitude des employeurs, la profession s'en prend volontiers à l'Ordre des médecins, accusé d'être complice du patronat dans ses jugements.
Le Dr Jacques Roux, psychiatre, a été autrefois membre ordinal – au niveau régional – avant de démissionner. Son regard sur l'institution est amer. « On nous interdit d'écrire sur les arrêts de travail que, par exemple, la dépression est due au travail », raconte-t-il, en référence à l'article 28 du code de déontologie qui proscrit la délivrance de certificats de complaisance… « Le médecin du travail subit une double contrainte permanente, résume le Dr Rodriguez. Il doit rendre compte d'une souffrance au travail et en même temps on le lui interdit ».
Le 8 juin, les médecins du travail suivront avec attention les appels devant l'Ordre national de leurs deux confrères, les Drs Berneron et Huez, également accusés de certificats de complaisance par des entreprises.
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