LA QUESTION n’avait pas encore été évoquée publiquement, ni au sein d’un comité d’éthique, ni dans le cadre du débat parlementaire autour de la loi bioéthique, ni dans le cadre d’une disposition réglementaire de l’administration pénitentiaire : un couple dont un des membres est détenu peut-il avoir recours à la procréation médicalement assistée ? Or, selon un praticien hospitalier (PH) de l’UCSA (unité de consultation en soins ambulatoires) de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), les demandes formulées à ce sujet par les personnes détenues et leurs familles se font « de plus en plus nombreuses et pressantes ». En l’absence d’élément pour statuer, ce PH a adressé l’été dernier une demande d’avis à l’Académie de médecine. Après le feu vert des deux commissions concernées (commission 10 Maternité et enfance, commission 17 Éthique et santé) et celui du conseil d’administration, l’Académie a décidé de créer un groupe de travail pour lui répondre. Et communiquer son analyse aux administrations concernées (Justice, Santé), ainsi qu’au Parlement (Assemblée, Sénat).
Aux termes de la loi du 18 janvier 1994, il ne peut être question d’ajouter à la peine de privation de liberté la dispensation de soins de moins bonne qualité que ceux reçus par la population générale. A fortiori, de priver purement et simplement une personne en prison des soins accessibles en liberté. « Mais, avec la PMA, c’est très compliqué, souligne le Pr Roger Henrion, il n’est pas simplement question d’assurer une qualité et d’une continuité de soins équivalentes à celles offertes à l’ensemble de la population. » Pour le gynécologue-obstétricien, rapporteur du groupe de travail, plusieurs problématiques s’imbriquent : est-ce que la privation de liberté s’étend à celle d’avoir un enfant ? C’est une question juridique et éthique. Est-ce qu’elle concerne aussi la privation de vie sexuelle ? À cet égard, il existe bien des parloirs familiaux, mais ils restent en nombre très limité. Est par ailleurs posée la question éthique de la nature de la parentalité dans de telles conditions, ainsi que celle des modalités d’éducation de l’enfant. »
« Sur le plan médical, poursuit le Pr Henrion, car il s’agit de savoir si la PMA, qui constitue une prise en charge de l’infertilité, peut aussi être abordée comme un traitement de convenance personnelle. Les protocoles doivent-ils alors être revus, puisqu’ils prévoient aujourd’hui deux ans de vie commune et que le traitement doit être interrompu avec la fin de la communauté de vie ? »
Les prévalences du VIH-sida et de l’hépatite C observées dans le milieu carcéral (2 à 4 fois supérieure pour le premier à celle mesurée dans la population générale et 5 à 8 fois pour le VHC*) sont aussi à prendre en considération. De même, les données matérielles et budgétaires ne sauraient être négligées, alors que plusieurs consultations devraient être programmées, avec des escortes policières. « La PMA est déjà un parcours du combattant pour les couples en liberté, rappelle le président honoraire de l’Académie, elle est évidemment beaucoup plus lourde à mettre en œuvre avec des personnes incarcérées. »
Douze membres de l’Académie issus de diverses spécialités (gynécologie-obstétrique, pédiatrie, psychiatrie, médecine légale, maladies infectieuses) vont maintenant auditionner des spécialistes de la PMA, des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et de la justice, des avocats et autres éthiciens. Le rapport, attendu pour avril prochain, ne devrait pas apporter une réponse définitive, mais fournir tous les arguments, aussi approfondis que possible, favorables et opposés à la pratique de la PMA en prison. Un dossier contradictoire pour éclairer un sujet sensible, qui, convient le Pr Henrion, en contexte électoral, pourrait donner lieu à des surenchères. Mais, affirme le rapporteur du nouveau groupe, « nous avons l’habitude de travailler sans tenir compte des groupes de pression, sur des sujets à forte résonance sociétale, comme nous l’avons montré avec la gestation pour autrui, les antennes téléphoniques, les éoliennes, ou le dépistage de la surdité à la naissance. »
C’est la première fois que l’Académie de médecine examine une problématique liée à la population carcérale.
*« Le Quotidien » du 14 octobre
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