Un jeudi après-midi d'octobre, une salle d'attente presque comme les autres. Jouets, peluches, poussettes, des mères qui lient conversation, des pères, l'endroit est chaleureux, jusque dans les salles de consultations où la vaisselle pour le thé sèche.
Au mur, l'affiche du film « le peuple migrateur » et une mappemonde ; l'exil sans ses violences. D'aucuns parlent du centre d'hébergement d'urgence d'Ivry, comme d'un VVF par rapport au centre de premier accueil de la Chapelle - où « le Quotidien » s'était rendu en mars 2017, et avait, de fait, vu des hommes aux visages durcis par les épreuves. C'est pourtant le même ballet de soignants, travailleurs sociaux et indispensables traducteurs dans les deux pôles santé. Mais à Ivry, les femmes, enfants et familles, restent cinq semaines en moyenne, parfois des mois (contre 10 jours pour le CPA La Chapelle). Elles habitent des appartements qu'elles décorent. Les enfants peuvent aller à l'école ; le soir venu, une partie de badminton s'improvise sur le bitume blanc. Tous prennent leur repas dans des yourtes, irriguées de wifi.
Le pôle santé voit passer 70 % de ces exilés, les plus vulnérables, en attente d'orientation. Ce jeudi, plus d'une dizaine d'enfants sont inscrits sur le planning des deux pédiatres de l'ONG pédiatres du monde. Une mère arrive, confie les carnets de santé de ses enfants aux médecins, ainsi que ses angoisses au sujet de son cadet, qu'elle trouve trop maigre. Pesée, taille, vaccinations, le traducteur Rachid blague avec l'enfant, la pédiatre, courbe de croissance à l'appui, rassure la mère, puis vient le tour des frères. Le plus petit a 17 mois, il est né en Suède. La mère dessine entre arabe et anglais son parcours : Irakienne, elle a grandi au Koweit où elle s'est mariée à un bidoune, apatride, la famille a vécu deux ans en Suède, elle est arrivée il y a deux semaines en France et craint d'être expulsée en Irak, où ils ne connaissent personne. La pédiatre pique la cuisse du petit, une goutte de sang et des larmes perlent, la mère le serre contre elle, il sourit. Les pédiatres et le traducteur saluent l'éveil de l'enfant. La mère repart enhardie. À la porte de la salle de consultations, deux mamans attendent, l'une amène son fils qui a mal aux oreilles, l'autre sa fille nourrisson, au cordon infectée.
Une trentaine d'enfants nés
Depuis l'ouverture, 115 femmes enceintes ont été suivies au centre ; 31 enfants y sont nés, dont un, sur place. Gynécologie sans frontières assure des consultations de gynéco (suivi, contraception, écho de datation), ainsi que deux sages-femmes de PMI. Édith Launay est l'une d'elle. Une partie de son travail consiste à inscrire les femmes en maternité « pour qu'elles soient suivies comme tout le monde ». Une tâche délicate, où il faut jongler avec la disponibilité des structures, tout en sachant que les femmes ne seront pas forcément à l'heure (il faut s'y rendre, en bus, avec travailleurs sociaux, etc.), et le temps. Comme pour cette gracile Afghane de 25 ou 27 ans, yeux agrandis par le khôl et joues piquetées de taches de rousseur, en tout début de grossesse. Sa troisième, après deux césariennes. La sage-femme propose une date pour une première échographie fin novembre. Le traducteur rappelle qu'elle doit déposer ses empreintes fin octobre. Tant pis, on maintient la date de la première écho ; si la jeune femme part en province avant, il ne sera pas trop tard pour s'inscrire dans une maternité, si elle part après, ce sera avec une belle écho dans son sac. « Parfois on préconise des départs ou au contraire, on les déconseille quand la femme est trop avancée dans le terme. Pour l'instant, on est plutôt entendu par la préfecture », observe-t-elle.
Édith prend le temps d'expliquer aux femmes les rendez-vous, les prises de sang. « Certaines ont peur. Toutes sont surprises de la batterie d'examens médicaux qui entourent l'accouchement, alors qu'elles viennent de pays où la mise au monde s'inscrit dans un système matrimonial », explique-t-elle. Mais le centre calme les angoisses. « Comparées aux femmes de la rue, tristes et réticentes à l'idée d'un suivi psy, les migrantes que nous voyons à Ivry sont souriantes et, en confiance, consultent volontiers les psys ; on peut travailler sur le lien mère-enfant. Même si le petit n'a pas été voulu, elles l'acceptent et y voient l'espoir d'une normalisation de leur vie », analyse-t-elle. C'est d'ailleurs le cas pour la jeune Afhgane qui a décidé de garder le bébé après un suivi psy.
La moitié des consultations sont psy
La dimension psychologique (assuré par les psychiatres de l'EMPP, des pédopsychiatres et les psychothérapeutes de l'association Traces), représente la moitié des consultations du pôle santé (6 sur 12). « On leur propose un espace de parole et d'écoute où elles ont la liberté de déposer un peu de leur souffrance, de l'insensé ; pour essayer de sortir du trauma, de vivre avec, et non plus dans le trauma », explique Juan Boggino, psychanalyste, responsable du Programme « Accompagnement psychothérapeutiques des mères et enfants victimes de la guerre ou de persécution politique », à Traces. Affleurent notamment les violences du parcours, la Libye, le passage en bateau, des séparations, des sévices sexuelles, l'omniprésence de la mort. « On n'ouvre pas ce qu'ils ne veulent pas ouvrir. On essaie d'envisager un lendemain », explique le psychanalyste. « On garde toujours un œil sur les enfants, en lien avec les enseignants. Les petits s'adaptent rapidement, mais malgré leurs sourires, qu'ont-ils vu ? De quoi ont-ils eu peur ? ».
Parfois le suivi dure : quelques semaines, pour un petit Afghan de trois ans, seul en France avec son père, qui refuse de parler au téléphone avec sa mère, déportée sur un autre chemin de migration ; jusqu'à huit mois pour une mère et son fils adolescent, des Afghans qui avaient fui l'Iran. Le père était mort, les autres enfants étaient restés en Allemagne. « Il fallait penser une distinction entre le fils et la mère sans que ce soit une séparation ou une nouvelle exclusion », se souvient Juan Boggino.
Le Dr Chantal Magdeleinat, psychiatre de l'EMPP, parle de prévention. « On arrête des épisodes dépressifs, des états de stress et d'anxiété intense, qui pourraient se développer, s'aggraver », explique-t-elle. Des traitements peuvent être mis en route (le centre dispose de quatre molécules) ; les psychiatres émettent des recommandations pour l'avenir (ne pas envoyer une personne très fragile à 50 km d'un centre médicopsychologique).
Le pôle santé ne s'arrête jamais. Les travailleurs innovent pour répondre à de nouvelles problématiques. Comme celle des violences faites aux femmes. Un sujet impossible à aborder frontalement. Un groupe de parole pour les pères s'est mis en place pour évoquer ce qu'est être père en exil, puis par la bande, aborder les problèmes de communication dans le couple, tout en rappelant la loi française. Les samedis, des ateliers ont déjà lieu sur la contraception, la relation mère-enfant, l'hygiène bucco-dentaire…
« On se bat pour faire de la médecine de qualité, on débute l'exploration des pathologies, on initie des parcours de soins, on fait de l'éducation thérapeutique, ça a du sens ici », résume Laure Guenneau, responsable de la mission migrants au Samusocial. Reste une immense part de frustration, liée à l'incertitude de ce que réserve à ces exilés le lendemain (et l'administration).
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