Le Dr Bernard Llagonne, patron du Syndicat national des chirurgiens orthopédistes (SNCO), médecin à Épernay (Marne), revient sur le scandale des « Implant files ».
Publiée par un consortium international de journalistes (ICIJ), l'enquête révèle d'une part la forte hausse des incidents dus à des implants médicaux ou prothèses – plus de 18 000 signalements en 2017 et environ 158 000 incidents sur la décennie en France, soit un doublement en dix ans – et, d'autre part, le manque de contrôle et de traçabilité de la part des autorités sanitaires. Les journalistes pointent aussi les pratiques douteuses des fabricants d'implants et les liens d'intérêts des chirurgiens.
Avec 150 000 prothèses de hanche et 90 000 prothèses de genoux posées par an, les chirurgiens orthopédistes sont visés. Si des améliorations sont nécessaires, il ne faut pas « jeter l'opprobre » sur la profession, plaide le Dr Llagonne.
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Les révélations des Implant files ont-elles été une grande surprise pour vous, en tant que leader syndical ?
Dr BERNARD LLAGONNE : Oui, nous avons été surpris. Nous avions certes été contactés par une journaliste de la cellule d'investigation de Radio France (membre du consortium), qui nous a appris qu'une enquête était en cours en Europe et aux États-Unis sur des implants défaillants. Il est normal que les médias s'intéressent à une chose aussi importante que le domaine du sanitaire. Souvenez-vous des prothèses « PIP » !
En revanche, l'utilisation de certains termes – « malversations, dessous de table, corruption » – à des fins de scandale médiatique ou sanitaire nous gêne. Cela jette l'opprobre sur toute la profession. Les médecins fautifs, s'il y en a, sont des cas isolés. Nous n'en avions pas connaissance. Cela dit, difficile d'imaginer qu'un chirurgien vienne nous dire qu'il a des conflits d'intérêts directs avec les laboratoires ! Nous ne pouvons en aucune manière cautionner ce genre de pratiques illégales.
Concrètement, des chirurgiens reçoivent-ils de l'argent des industriels pour poser leurs prothèses dans les blocs opératoires ?
Nous n'avons aucune preuve que des chirurgiens orthopédistes, en France, ont ce genre de pratiques. Les dessous-de-table, c'est illégal. De nombreux textes existent depuis 20 ans pour les empêcher – dont la dernière législation « anti-cadeaux ». Ceux qui dérogent à la réglementation doivent être, sinon condamnés, tout au moins jugés devant les instances ordinales ou légales.
Après, il est vrai qu'il existe des relations fréquentes entre chirurgiens et industriels. Nous y sommes obligés, car les innovations viennent de cette collaboration. C'est indispensable. Mais cela doit être écrit, tracé et déclaré sur le site transparence.gouv.fr.
Qu'un industriel vienne vanter son produit, c'est normal, cela s'appelle du commerce. Au chirurgien, qui a son indépendance professionnelle, de faire son choix avec des critères scientifiques fournis par la société savante. Il faut que le risque soit le plus faible possible, même si le risque zéro n'existe pas, surtout en chirurgie. Mais on ne peut pas mettre quelqu'un derrière chaque praticien. Notre rôle n'est pas de faire la police. Et franchement, j'ai du mal à imaginer qu'un chirurgien puisse entrer dans un deal purement commercial au détriment de la sécurité du patient : sa réputation en pâtirait un jour ou l'autre !
Quelles sont les améliorations ?
Il y a matière à s'améliorer, pour tout le monde. On a besoin d'avoir un meilleur suivi de tous les implants et prothèses. Actuellement, les déclarations de matériovigilance sont insuffisantes. Et un suivi efficace, c'est un registre !
Cela nous amène à la seconde problématique de l'enquête : la défaillance des agences sanitaires. Depuis 15 ans, les orthopédistes demandent qu'un registre de prothèses soit créé, mais nous avons toujours eu une fin de non-recevoir des autorités de tutelle. Nous avons mis en place un registre au sein de la profession, mais il est non exhaustif. Il faudrait qu'un tel registre devienne obligatoire, non pas pour le chirurgien mais pour le patient, dont la prothèse est remboursée par la Sécurité sociale. Ce n'est pas normal qu'une fois que sa prothèse va bien, il se désintéresse totalement du suivi de celle-ci...
Aujourd'hui, un chirurgien orthopédiste qui se rend compte qu'un implant est de mauvaise qualité a deux voies possibles : l'ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, NDLR] ou Orthorisq, société créée par la profession en lien avec la Haute Autorité de santé. Ces remontées ont déjà permis de changer les pratiques, par exemple avec les cols modulaires sur certaines prothèses de hanche, ou les prothèses de hanche dites métal-métal, qui ont été limitées, voire interdites selon les indications.
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