J - 3 pour déposer son agenda d’accessibilité programmée

Entre coût et paperasse, les médecins renâclent

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Publié le 24/09/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

80 % des médecins libéraux exerceraient dans un cabinet ne répondant pas exactement aux normes de l’accessibilité universelle. Leurs syndicats, qui ont un temps plaidé pour le boycott avant de se raviser, prédisent le pire : « déplaquages » précoces, désertification des centres villes, mort de la médecine de proximité.

De fait, les médecins proches de la retraite sont les moins enclins à déposer leur Ad’AP. « Je n’ai encore rien fait et je me demande si je vais faire quelque chose », explique au « Quotidien » le Dr Jean Lafargue, généraliste installé dans le centre d’une petite commune de Lorraine. « J’ai 64 ans. Dans trois ans, je ne serai plus là pour rendre des comptes sur les travaux effectués dans mon cabinet. Je ne suis pas sûr d’avoir un successeur. Pourquoi m’infliger toute cette tracasserie ? » explique-t-il. Ce président de l’UNOF Lorraine trouve la loi de 2005 sur l’accessibilité universelle trop théorique, en décalage avec l’exercice libéral quotidien. Ce médecin visite à domicile les personnes âgées ou handicapées. Il prend les handicapés sous le bras pour les guider de la salle d’attente au cabinet. Le spectre de la sanction glisse sur lui : « Je m’en irai », dit-il.

Sur notre site internet (lequotidiendumedecin.fr), les témoignages se multiplient, qui en disent long sur l’état d’esprit de nombreux médecins. « J’attends le premier courrier des tutelles et je déplaque ». « À deux ans de la retraite, je ne fais rien ». « Douze mois avant la date prévue, j’ai pris la décision de dévisser ma plaque après avoir reçu trois devis de 45 000 euros ».

Dédale de normes

Ceux qui ont aménagé leur cabinet ou se préparent à la mise aux normes affichent eux-aussi leur lassitude. Le coût des travaux programmés passe mal avec un C à 23 euros gelé depuis 2011. « J’ai vu des diagnostics accessibilité qui chiffraient à 20 000 ou 40 000 euros la mise aux normes, avec un record à 200 000 euros pour deux mois de travaux », témoigne le Dr Bruno Deloffre, spécialiste du sujet à MG France.

La complexité des règles peut décourager, surtout lorsqu’elle ignore la singularité des situations. « Une consœur a 6 000 euros de travaux à faire, qui sont à la charge du propriétaire. Ce dernier, retraité, n’a pas les moyens. Que faire ? » rapporte le Dr Deloffre. « Les diagnostics accessibilité sont une catastrophe, les commissions départementales ou les mairies, parfois mal renseignées, en rajoutent sur les normes », peste-t-il. Certains cas de figure frisent l’absurde. « Une partie de mes locaux récents comporte un plan incliné, mais les brancards du SAMU ne passent pas dans le couloir et doivent emprunter les anciens locaux », raconte de son côté le Dr Philippe Boutin, président de l’URPS Poitou-Charentes.

Face à l’orgie de paperasse redoutée, les dérogations sont perçues comme un pis-aller. Le Dr Christine Bertin-Belot, présidente (SML) de l’URPS de Franche-Comté, a fait réaliser (pour 500 euros) un diagnostic qui évalue à... 35 000 euros le coût des travaux. Elle peut certes tabler sur le refus de la copropriété et une dérogation pour classement au patrimoine. « Mais je dois attendre en juin 2016 la prochaine réunion de copropriété, et je dois contacter l’architecte des bâtiments de France », explique-t-elle. Un « grand bazar », alors qu’en 32 ans d’exercice tous les fauteuils roulants (sauf un) ont pu accéder à son cabinet...

Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9435