C'est le premier coup de chaud de ces négociations conventionnelles 2016.
Jeudi dernier, plusieurs syndicats de médecins libéraux ont menacé de quitter la séance consacrée à la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), échaudés notamment par la proposition de la CNAM d'ajouter un indicateur d'efficience portant sur la pertinence des prescriptions d'arrêts de travail (IJ).
La mesure, décrite dans un document préparatoire, consistait à valoriser dans la ROSP le recours aux prescriptions d'arrêts de travail en ligne (taux de dématérialisation) et le respect des référentiels de durée définis par la CNAM, sur avis de la Haute autorité de santé (HAS). La caisse explique que la durée des arrêts prescrits en ligne (AAT) est « plus souvent conforme aux référentiels existants, probablement du fait de la possibilité de choisir parmi les durées standard proposées par l'outil ».
Pour une grippe saisonnière par exemple, la durée de référence proposée est de 5 jours d'arrêt (quel que soit l'emploi du patient). Pour une bronchite aiguë sans comorbidité, la durée varie de 4 à 7 jours ; pour une lombalgie, les fiches repères indiquent jusqu'à 35 jours d'arrêt si le patient porte des charges de plus de 25 kg au travail… L'idée de la CNAM est donc de « standardiser » davantage les prescriptions d'IJ grâce aux outils en ligne proposés aux médecins.
Pragmatique, le directeur de l'assurance-maladie Nicolas Revel a « pris acte » de l'hostilité des syndicats sur cette question sensible, sans y renoncer explicitement. Mais l'affaire a peut-être laissé des traces.
Flicage
« À ce train, mettons directement un serveur vocal où les arrêts de travail seront faits automatiquement, et nous n'aurons plus à nous en soucier, persifle le Dr Claude Leicher, président de MG France. Tout ceci est la preuve d'un manque de confiance envers les médecins ».
Pour certains, inclure des indicateurs d'indemnités journalières dans la ROSP serait emblématique de la volonté de la Sécu de tenir le stylo des médecins. « Nous sommes ulcérés, on ne peut accepter une médecine normalisée en ligne, sous le contrôle de l'assurance-maladie », résume le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Il fait valoir que les modalités de la ROSP doivent être partagées par les deux parties.
Pour le Dr Jean-Paul Hamon, chef de file de la FMF, cette piste n'est rien d'autre que « du flicage des salariés et des médecins ». « L'assurance-maladie veut qu'on respecte ses référentiels ? Faisons la grève du zèle. Car si on les applique strictement, le nombre des arrêts de travail va exploser ! ».
Patate chaude
La proposition n'a pas été lancée au hasard. En matière d'arrêts de travail, la CNAM mise sur les outils d'aide à la prescription pour combattre les pratiques jugées anormales et surtout les abus. Dans son dernier rapport « charges et produits » (préparatoire à la loi de financement de la Sécu), l'assurance-maladie visait jusqu'à 300 millions d'euros d'économies sur ce poste à l'horizon de trois ans, notamment grâce à la diffusion de référentiels.
En 2014, le régime général a versé près de 12 milliards d'euros d'indemnités journalières dont 9 milliards pour maladie, les accidents du travail et maladies professionnelles. Et en 2015, selon le comité d'alerte sur les dépenses maladie, les IJ ont progressé de 3,5 %.
« On essaye de refiler aux médecins la patate chaude des IJ, qui est un enjeu financier énorme pour la CNAM, et de nous culpabiliser », déplore le Dr Leicher. « Je mets de côté les quelques confrères qui prescrivent abusivement », précise-t-il. « Certains praticiens font beaucoup trop d'arrêts et cela doit changer, concède aussi le Dr Éric Henry, président du SML. Mais il est illusoire pour la Sécu de vouloir contrôler leur durée, c'est le cœur de notre métier ».
Invitée sur France Inter, la ministre de la Santé Marisol Touraine s'est montrée prudente sur ce sujet. Elle a assuré qu'il ne s'agissait en « aucun cas de dire aux médecins de prescrire moins d'arrêts maladie, mais de leur dire qu'il serait souhaitable de tenir d'avantage compte des références établies ». Et de préciser que le gouvernement « laisse les acteurs de la négociation décider ».
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