Pascal Roché, directeur de Ramsay Générale de Santé

« Pas question pour les cliniques de servir de variable d’ajustement ! »

Publié le 20/07/2015
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Crédit photo : MICHEL LABELLE

Entretien

LE QUOTIDIEN : La Générale de Santé et Ramsay Santé ont fusionné le 1er juillet. Y aura-t-il un changement de positionnement et de stratégie ?

PASCAL ROCHÉ : Nous affinerons notre stratégie à l’automne, dans le prolongement de ce qui a été mis en place depuis quatre ans. Depuis 2011, nous privilégions une organisation en pôles territoriaux afin de réduire les délais d’attente et créer des filières de soins, notamment en cancérologie, ou encore sur les soins cardiovasculaires et l’obésité.

La chirurgie ambulatoire, où nous sommes numéro un, est une autre priorité. Notre taux de chirurgie ambulatoire atteindra 60 % avant la fin de l’année alors que la moyenne française, hôpitaux publics inclus, plafonne à 42 %. Deux exemples : nous sommes passés de 0 à 28 % sur l’opération du ligament croisé antérieur en deux ans et nous assurons déjà 45 % d’ablation de la vésicule en moins de 12 heures.

Avec la fusion, notre groupe est plus puissant, plus fort aussi de savoirs partagés. Nous continuerons à investir plus de 100 millions d’euros par an dans nos établissements, enveloppe qui augmentera avec le périmètre accru de notre parc. En juin, nous avons posé à Dijon la première pierre d’un établissement pensé autour du parcours du patient, attendu en 2017, issu du regroupement de trois cliniques. Nous avons aussi ouvert le chantier d’une clinique marseillaise spécialisée dans l’ambulatoire en orthopédie et en ophtalmologie.

Avec l’opération « 1 000 recours », la FHP-MCO appelle les cliniques à mener une guerre procédurale contre le ministère sur les autorisations d’activité et les tarifs. Le secteur privé est-il victime de discrimination ?

Je m’associe à la stratégie de la FHP-MCO. C’est une réponse d’exaspération aux incohérences de la politique du gouvernement. Si nous comprenons les contraintes économiques de l’État, pas question pour autant de servir de variable d’ajustement ! Nous demandons juste de la transparence et de l’équité. Nous avons subi une nouvelle baisse de tarifs en 2015 de 2,5 %, contre 1 % pour le secteur public. Nous sommes toujours le seul secteur en France qui est privé du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du pacte de responsabilité. C’est illogique alors que notre groupe emploie plus de 20 000 personnes et recrute 3 000 CDI par an. Cette décision place le secteur sous forte tension, quand 40 % des cliniques ont déjà fermé en 12 ans en France. Des dizaines d’autres cliniques fermeront à cause de cette politique.

La loi de santé arrivera au Sénat à la rentrée. Redoutez-vous les effets des futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT) ?

Le regroupement et la mutualisation accroissent l’efficacité de la prise en charge du patient et sont économiquement rentables. Sur le principe, la création des GHT est logique et sensée au regard du trop grand nombre de lits du parc hospitalier public. Mais attention ! Il ne faudrait pas que les GHT servent de prétexte aux ARS pour nous retirer de nouvelles autorisations. Nous resterons donc très vigilants.

Les ARS pourront contrôler les « bénéfices raisonnables » des cliniques, voire en ponctionner une part. Quelle est votre réaction ?

Cet article sur le bénéfice raisonnable a été introduit au dernier moment dans la loi de santé, à notre grand regret. Je ne le comprends pas et, surtout, je crains un nivellement par le bas. Le déficit structurel n’est pas un bon mode de gestion ! En Allemagne, un hôpital déficitaire trois années de suite verra son activité non rentable tout simplement fermée, transférée ou fusionnée. Pas en France. En cas de déficit, seules les cliniques privées sont obligées de mettre la clé sous la porte. On est en train de se tirer une balle dans le pied. Je rappelle que nos bénéfices sont réinvestis à 80 % en équipements, matériels ou nouvelles structures.

Pour être éligible au service public hospitalier, la loi a maintenu l’interdiction de facturer des dépassements d’honoraires. Que va-t-il se passer sur le terrain ?

Nos services d’urgences sont par définition aux tarifs opposables. Pour les autres spécialistes, le gouvernement ne peut pas nous faire porter une responsabilité, qui est d’encadrer les dépassements d’honoraires, et qui n’est pas la nôtre. Les dépassements d’honoraires du secteur II sont légaux et définis par l’État depuis 1980. Sur le service public hospitalier, nous avons avancé dans la discussion depuis l’automne, mais nous resterons très attentifs à la parution des décrets d’application.

Quels sont les prochains grands enjeux du secteur ?

D’ici à 2020, nos devons nous mettre à la page sur la digitalisation de la santé – échange d’informations numérisées entre médecins, télémédecine… – et sur l’évaluation de la qualité médicale.

L’État doit absolument trouver un moyen de différencier les établissements et les praticiens selon une série d’indicateurs comme la qualité du suivi du patient, la qualité des soins ou encore le temps accordé à chacun. Un tel classement serait plus transparent que celui des magazines sur lesquels se ruent les Français.

La question d’une rémunération indexée à la qualité se pose. Le système actuel souffre de trois faiblesses majeures. Payer un acte 23 euros est, en valeur absolue, très insuffisant. Ensuite, l’absence de différentiation de tarifs en fonction du lieu d’implantation contribue à la naissance de déserts médicaux en région rurale comme en pleine ville. Seul un médecin généraliste s’est installé en Seine-Saint-Denis en trois ans ! Enfin, avec le « boom » des pathologies chroniques, la rémunération à l’acte doit être complétée par des indicateurs relatifs au parcours de soins et à la performance, pour les libéraux comme les hospitaliers.

LE DÉFICIT STRUCTUREL N’EST PAS UN BON MODE DE GESTION

PAYER UN ACTE 23 EUROS EST, EN VALEUR ABSOLUE, TRÈS INSUFFISANT

Propos recueillis par Anne Bayle-Iniguez

Source : Le Quotidien du Médecin: 9428