LE QUOTIDIEN : Que dire de la situation sanitaire et de la démographie médicale à Grenoble ?
ÉRIC PIOLLE : Avec environ 200 généralistes libéraux (soit 12 pour 10 000 habitants), notre présence médicale surpasse la moyenne régionale mais nous ne sommes pourtant pas à l'abri des tensions ! Même si nous avons gagné 25 % d'enfants dans les écoles élémentaires depuis 10 ans, la population vieillit comme partout. Et nos praticiens ne couvrent pas seulement la population grenobloise, mais aussi celle des villes limitrophes… 60 % des médecins sont âgés de plus de 55 ans, et après les départs à la retraite, les cabinets déménagent souvent car les locaux ne répondent plus aux normes. Certains quartiers se vident de leur présence médicale. Et dans les spécialités, nous avons déjà un manque accru de gynécologues, de psychiatres et de dermatologues.
Comment résoudre ces tensions ?
Les difficultés de démographie médicale subsistent hélas dans la France entière depuis des décennies. Je déplore la compétition généralisée qui s'ensuit, avec des territoires réduits à faire de la surenchère pour attirer à eux les médecins. Et d'ici à ce que la fin du numerus clausus fasse effet... En tout cas, Grenoble ne jouera pas le jeu de la concurrence territoriale. Nous préférons dialoguer avec les praticiens, autour des conditions de travail notamment, pour les fidéliser.
Dans une ville où le taux de pauvreté s'élève à 18 %, les habitants des quartiers d’habitat social sont les premières victimes de ces tensions. Afin d'y déployer les services médicaux requis, la ville et son CCAS [centre communal d'action sociale] ont renforcé leur soutien aux centres de santé existants.
Les cinq centres municipaux de santé grenoblois, qui soufflent tout juste leurs 40 bougies, suivent au total 20 000 patients. Je m'inscris dans la pleine continuité de cette pratique médicale collective et de secteur I, qui convient parfaitement aux jeunes médecins. Ces derniers me paraissent moins préoccupés par la quantité d'actes que par des conditions de travail correctes.
Vous tablez aussi sur la prévention ?
La spécificité grenobloise, c'est d'avoir un adjoint santé également en charge de l'urbanisme [Pierre-André Juven, sociologue, NDLR]. En effet, la santé, ce n'est pas seulement le soin, lorsqu'on est déjà malade. Elle doit être appréhendée dans un sens plus global. Avec Pierre-André Juven, nous avons donc construit un plan dédié, multipartenarial, avec une centaine d'actions prévues à travers trois grands axes : la santé environnementale ; la prévention et l'accès aux soins ; et les publics spécifiques – femmes, patients en santé mentale, jeunes (notamment en addictologie) ou SDF.
Nos actions en santé globale se tournent spécifiquement vers les plus démunis. Il y a trois ans, nous avons été la première municipalité en France à recruter trois « travailleurs pairs » précisément pour faire de la prévention santé dans les zones sensibles et y développer l'accès aux soins.
Faut-il également former les médecins à la santé environnementale ?
Les jeunes généralistes se saisissent de plus en plus de leur rôle en matière de prévention, inaugurant de fait une nouvelle approche de la médecine de ville. Avec l'espérance de vie en bonne santé qui flagelle, mais aussi les débats autour de la pollution de l'air ou des pratiques alimentaires, ces jeunes médecins montent spontanément au créneau sur la question du mode de vie, du cadre de vie et de la prévention.
La ville les accompagne en ce sens à travers le dialogue organisé dans les centres municipaux, mais aussi avec les nouvelles communautés professionnelles territoriales de santé [CPTS], autres acteurs de l'approche globale de la santé qui commencent à se mettre en place à Grenoble.
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