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Dossier

Covid : la recherche clinique entre élan et emballement

Par Elsa Bellanger - Publié le 29/05/2020
Covid : la recherche clinique entre élan et emballement

Une mutualisation européenne des moyens est nécessaire
Phanie

S’il est prématuré de dresser un bilan des bouleversements de la pandémie de Covid-19 sur la recherche clinique, le constat d’une mobilisation sans précédent peut déjà être établi, mais aussi celui d’un risque de dispersion et d’une communication hâtée dans un contexte anxiogène.

Jamais la recherche n’aura semblé être aussi rapide que pendant la pandémie de Covid-19. En quelques semaines, le génome du virus était séquencé, ses mécanismes caractérisés et les connaissances partagées.

En à peine quelques mois, plus de 1 000 essais ont été lancés à travers le monde. Le nombre d’articles et de prépublications a lui aussi explosé. Un chercheur de l'université Radboud aux Pays-Bas recensait, mi-avril, 2 102 « preprints » liés au Covid-19.

Cet effort d’ampleur mondiale s’est traduit en France par une mobilisation sans précédent de l’ensemble des acteurs de la recherche clinique, plaçant le pays en troisième position dans le domaine, derrière la Chine et les États-Unis.

Une recherche en temps réel

« En termes de recherche, la période actuelle est très intense avec des médecins qui, malgré l’énorme travail de soins, ont à cœur de faire de la recherche, de comprendre cette pathologie déroutante et de trouver des solutions thérapeutiques », salue la Pr Tabassome Simon, PU-PH en médecine et pharmacologie clinique, Vice-Présidente adjointe de la recherche de l’AP-HP et membre du comité de pilotage chargé d’évaluer les projets sur le Covid-19.

Cette recherche en temps réel a été permise par une réduction des délais d’évaluation et de validation des essais cliniques, menée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et les comités de protection des personnes (CPP). « Toutes les instances impliquées dans la recherche ont travaillé d’arrache-pied, nuits et week-ends compris, pour aller vite et réduire les délais. Ce qui prenait des mois a été fait en 15 jours », souligne la Pr Simon.

Cette accélération est le fruit, selon le Dr Denis Comet, président de l’AFCRO (association des entreprises de la recherche clinique), des efforts engagés il y a plusieurs années. « Cela fait des années que les promoteurs de recherche, publics ou privés, les sociétés de services et les autorités réglementaires (ANSM, DGS), discutent de l’amélioration des process et de la possibilité de redonner à la France une position de premier plan qu’elle avait un peu perdu », analyse-t-il.

Cette réflexion a abouti à une dématérialisation de certaines démarches et au développement des « Fast Tracks », soit des revues rapides des protocoles de recherche. Grâce à cela et à la mobilisation inédite des CPP, « nous sommes devenus, avec le Covid, les plus rapides du monde avec des délais d’autorisation des recherches passés de 90 jours en moyenne à 7 jours, et parfois même à 48 heures », se félicite le Dr Comet.

Cette accélération s’est accompagnée d’une multiplication des essais, faisant craindre, début mai, à l’Académie de médecine qu’une « regrettable dispersion des essais limite la taille des effectifs » et réduise « la puissance statistique des résultats ». Dans son audition devant les sénateurs, le 6 mai, la Pr Florence Ader, infectiologue à l’hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l’essai clinique européen Discovery, employait l'expression d'« épidémie de recherche » pour qualifier la multiplication des essais.

« Je trouve peu judicieux d'avoir initié 30 ou 40 études qui ne concerneront qu'une dizaine de patients chacune plutôt que de s'être accordé sur un nombre limité d'études mais avec un plus grand échantillon de patients, a-t-elle expliqué aux sénateurs. Lorsque l'on ignore tout de l'efficacité d'une certaine molécule pour une certaine infection, on ne peut tirer de résultats pertinents qu'à partir d'un panel de patients le plus large possible ».

Un manque de stratégie globale

Pour le Dr Denis Comet, cet « émiettage avec des essais à 50 ou 100 patients » part « d’une bonne intention, mais peut se révéler contre-productif », avec notamment une compétition entre essais, ne serait-ce que pour le recrutement des patients.

Pour l’Académie, ce « désordre » est la marque du « manque de stratégie globale de riposte à la pandémie » au niveau européen avec une absence de programmes d’envergure et de coordination de la recherche sur le Covid-19.

L’essai Discovery a par exemple souffert des différences réglementaires entre pays européens. « Après une séquence rapide, marquée par un protocole élaboré en six jours et une autorisation obtenue en quinze, nous mettons désormais plus de temps à gérer les circuits réglementaires des différents pays », déplore ainsi la Pr Ader, soulignant également des enjeux liés aux financements dans le développement européen du projet. « C’est là l’une des faiblesses de l’Europe, appuie le Dr Comet. Ce genre de projets auraient dû être d’emblée à un niveau européen, avec des financements européens ».

Des communications hâtives

Une autre « dérive » est relevée par l’Académie de médecine qui s’alarme d’une « précipitation dans la communication », « d’annonces prématurées », de « discordes entre les équipes » et de « pressions de toutes sortes », alors que « la démarche scientifique exige du temps, de la méthode et de l’esprit critique ».

Pour Anne-Marie Duguet, maître de conférences, spécialiste du droit de la santé et d’éthique biomédicale, les chercheurs, dont la première qualité est de douter, « sont confrontés à une population qui ne comprend pas que l’on ne sache pas ». Elle constate que certaines communications « ont été bien trop hâtives, notamment parce qu’elles étaient trop rassurantes, donnant de faux espoirs ».

L'universitaire rappelle ainsi que les médecins sont tenus, par l’article 13 du Code de la santé publique, de diffuser auprès du grand public, « des données confirmées », en faisant « preuve de prudence » et avec « le souci des répercussions des propos auprès du public ». La même réserve doit s’appliquer, selon l’article 14, à une communication au sein de la communauté scientifique. Cette prudence a pu faire défaut, obligeant l’Académie de médecine à rappeler que le « contexte anxiogène (…) ne saurait justifier l’utilisation de méthodes inappropriées, d’études bâclées, ni d’une communication avide d’exclusivités ».

Pour l’avenir, l’institution plaide pour une plus grande rigueur, pour une « communication prudente et responsable », mais aussi en faveur d’une mutualisation européenne des moyens de la recherche. De son côté, la Pr Simon invite à capitaliser sur l’expérience récente. « Il nous faudra regarder ce qui nous a permis d’aller plus vite et voir comment simplifier les procédures sans nuire à la qualité et à la sécurité exigée ».

Dans son avis sur le déconfinement, publié le 4 mai dernier, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) craint que l’émulation de la communauté scientifique ne dure pas. « Il n’est pas certain que cet état d’esprit perdure pour la période qui s’ouvre – la plus vaste et la plus rapide opération dans l’histoire de la fabrication des vaccins - qui concerne quelques entreprises privées disposant des infrastructures de production, mais soucieuses de leurs résultats financiers ».

Elsa Bellanger