« Nous avons découvert que la bêta-amyloïde, qui s’agrège sous forme de plaques dans le cerveau des patients atteints de la maladie d'Alzheimer, protège en fait contre les microbes. En même temps, des microbes tels que certains virus herpétiques, le VHS1 et les VHH6 et 7, déclenchent rapidement la formation de plaques, ce qui met en action la cascade d'événements pathologiques dans la maladie d'Alzheimer », explique au « Quotidien » le Pr Rudolph Tanzi, directeur de l’Unité de recherche sur la génétique et le vieillissement à l’Hôpital Général du Massachusetts (MGH/Harvard, Charlestown, États-Unis) et cosignataire principal d'une étude publiée dans la revue « Neuron ».
Aloïs Alzheimer avait déjà suggéré en 1907 un possible rôle de l’infection dans la maladie, en découvrant la présence de plaques amyloïdes et d’enchevêtrements neurofibrillaires dans le cerveau. Mais jusqu’à récemment, peu de données étaient venues appuyer l’hypothèse.
Ces dernières années, l’équipe des Prs Tanzi et Moir (MGH, Harvard) a montré que la bêta-amyloïde, traditionnellement perçue comme un peptide sans fonction, représente en fait un composant de l’immunité immune, un peptide antimicrobien (PAM) hautement conservé à travers l’évolution, dont l’agrégation protégerait contre les infections bactériennes et fongiques.
Par ailleurs, de récentes études épidémiologiques ont suggéré que les personnes infectées par virus herpétique sont à risque accru de maladie d’Alzheimer (MA) par rapport aux personnes non infectées. Ce lien entre MA et virus herpétique a été conforté tout récemment par une étude du Pr Joel Dudley de l’Icahn School of Medicine au Mount Sinai de New York, publiée dans « Neuron ». Cette étude montrait une corrélation entre l’abondance des virus herpétiques (VHH6A et VHH7) dans le cerveau et la progression de la MA.
Hypothèse de réponse antimicrobienne de la maladie d'Alzheimer
Dans la présente étude, l’équipe des Prs Tanzi et Moir montre que les oligomères solubles de la bêta-amyloïde inhibent in vitro l’infection VHS1 et protègent la souris transgénique de l’encéphalite virale aiguë. La bêta-amyloïde se fixe à la surface des virus herpétiques (VHS1 et VHH6) et s’agrège pour les piéger dans des dépôts d’amyloïde insoluble. Les souris transgéniques exprimant la bêta-amyloïde humaine survivent plus longtemps à l’infection herpétique cérébrale en comparaison des souris non transgéniques. Cette infection accélère toutefois le dépôt d’amyloïde.
« Nos résultats révèlent un mécanisme simple et direct par lequel les infections herpétiques dans le cerveau déclenchent le dépôt d'amyloïde en réaction de défense. De cette façon, nous avons fusionné l'hypothèse de l'infection et l'hypothèse amyloïde en une "hypothèse de réponse antimicrobienne" de la maladie d'Alzheimer », note le Pr Tanzi.
« Nous montrons que l’emprisonnement des virus herpétiques par l’amyloïde confère une protection efficace immédiate contre l’infection », explique le Pr Moir. « Mais il est possible qu'une infection chronique par des organismes pathogènes, comme le virus herpétique qui reste présent toute la vie, puisse provoquer une activation soutenue et délétère de la réponse immunitaire amyloïde, déclenchant une inflammation cérébrale qui amène une cascade de pathologies aboutissant à la maladie d'Alzheimer. Un aperçu est essentiel : ce n'est pas la destruction directe des cellules cérébrales par l'herpès qui cause la maladie d'Alzheimer, mais plutôt la réponse immunitaire au virus qui entraîne une neuro-inflammation cérébrale ».
« Nos données et les résultats de l’équipe de Dudley suggèrent qu'un modèle de protection antimicrobien utilisant à la fois des médicaments anti-herpès et anti-amyloïdes pourrait être efficace contre le stade précoce de la MA. Plus tard, lorsque la neuroinflammation a débuté, cibler des molécules inflammatoires pourrait offrir un plus grand bénéfice. Cependant, il n’est pas encore clair que l'infection soit la cause première de la maladie. La maladie d'Alzheimer est une maladie très hétérogène, et de multiples facteurs pourraient être impliqués dans son développement », ajoute le Pr Moir.
Une dysbiose du microbiome cérébral dans la MA
L’hypothèse d’une réponse antimicrobienne favorisant la maladie d’Alzheimer sera étudiée dans le Projet du Microbiome Cérébral. « Dans le cadre de ce projet, nous essayons d'identifier tous les microbes qui déclenchent cette réponse afin de pouvoir envisager des moyens de prévention primaire. Jusqu’à présent, au-delà des virus, nous avons découvert des bactéries bénéfiques et néfastes dans le cerveau des patients jeunes, âgés ou atteints de la maladie d’Alzheimer, avec une tendance allant de bénéfique à pathologique avec l'âge. Mais ce travail est encore en cours », prévient le Pr Tanzi. « Le cerveau était autrefois considéré stérile, mais il héberge une population de microbes, dont certains peuvent être nécessaires pour la santé normale du cerveau. Nos résultats préliminaires suggèrent que le microbiome cérébral est gravement perturbé dans la maladie d'Alzheimer et que de mauvais acteurs – dont les virus de l'herpès – semblent tirer parti de la situation, amenant des problèmes pour le patient. Nous explorons si la pathogenèse de la MA est comparable aux modèles de microbiome perturbé observés dans des affections comme la maladie inflammatoire de l'intestin ; les données obtenues à ce jour sont à la fois surprenantes et fascinantes. »
Neuron, 11 juillet 2018, Eimer et coll.
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