« CE SONT des expériences tout à la fois médicales, humaines, passionnelles et presque spirituelles », témoigne, enthousiaste, le Dr Bénédicte Dalmasso. Une récidiviste des TAAF : en 2003 aux îles Crozet et en 2006 aux Kerguelen, elle a rempli à deux reprises son contrat de médecin-chef de district, au long d’une année entière, sans interruption. Et sans famille. « Dans un dépaysement total, nous vivons dans une nature vierge où les animaux sauvages ne craignent pas l’homme. Nous emmagasinons en une année dix ans d’expérience. » Certes, reconnaît-elle, c’est une expérience médicale extrême : « Il faut faire face à tous types d’événements, pas seulement auprès des personnels des bases, mais aussi auprès des populations de pêcheurs qui fréquentent les Kerguelen, Ukrainiens, Malgaches et autres marins des 40es rugissants, victimes de toutes sortes de traumatologies. J’ai dû prendre en charge des chocs septiques, ou des infarctus, avec des délais d’évacuation d’au moins dix jours. Cela relativise considérablement l’expérience des praticiens en métropole, qui font intervenir le SAMU en quinze minutes maximum.... »
« Forcément, avec la judiciarisation galopante, souligne un autre ancien, le Dr Didier Belleoud, cet isolement médical n’est pas de nature à attirer la nouvelle génération. » Hivernant en 2000 et 2005 en Terre Adélie, ce médecin militaire a dû pratiquer en solo 4 appendicectomies, traiter un choc anaphylactique et réduire une fracture du rachis. « Sans être ni chirurgien orthopédique, ni chirurgien viscéral, et encore moins neurochirurgien, d’aucuns vous diront qu’il faut une bonne dose d’inconscience pour se lancer dans de telles aventures », sourit-il. « Et bien sûr, note-t-il, les jeunes, qui hésitent déjà à s’installer, hésitent encore plus à se désinstaller ainsi au bout du monde, pour exercer seul de telles responsabilités. »
Directeur médical des TAAF, le Dr Claude Bachelard confirme et nuance l’appréciation. « Pur produit TAFF », comme il se définit après 30 ans d’exercice pour les territoires, il a pu observer que la solitude du médecin chef de district n’est plus ce qu’il a connu à ses débuts : « Dans les années 1980, il fallait se contenter d’une cantine sommaire de produits et de matériels et vivre réellement dans l’isolement. Dans les années 1990, cet isolement a été très atténué par les liaisons satellitaires, et maintenant, avec la télémédecine, nous pouvons transférer en temps réel des radios, des ECG et des échographies. Même si les téléconférences restent compliquées à organiser et si l’acte chirurgical n’est pas prêt à être télécommandé, l’amélioration des conditions de prise en charge est notable. »
« Nous sommes en relation avec les confrères de la régulation du SAMU de Toulouse, précise le Dr Dalmasso, ils nous dispensent des conseils non seulement techniques, mais très empathiques. Je me souviens par exemple de la manière dont ils m’ont assistée quand j’ai traité un marin avec un hameçon planté dans l’œil. Grâce à eux, je n’étais plus seule face au malade. »
Savoir tout faire.
La formation dispensée avant le départ, avec un stage de trois mois, permet aussi de sécuriser les hivernants avant de les lâcher dans toutes leurs fonctions d’autonomie : sécurité des personnels du district, mais aussi médecine de prévention (santé physique et mentale), avec une visite tous les quatre mois, hygiène de vie dans la station, organisation du secourisme et réalisation des protocoles de programmes de recherche en biologie humaine et médecine. Au sein d’un HIA (hôpital d’instruction des armées), ces médecins d’expédition, qui doivent être titulaires d’une qualification en médecine générale, ou en urgentisme, Français de nationalité et âgés de moins de 60 ans, reçoivent une formation pratique en chirurgie, anesthésie et dentisterie opératoire. S’y ajoutent des notions vétérinaires, pour qu’ils puissent superviser le suivi sanitaire d’un cheptel ovin, aux Kerguelen.
Bref, « à l’instar du médecin de brousse, le médecin d’expédition est censé savoir tout faire », résume le Dr Bachelard. Mais, souligne-t-il, « c’est la préparation mentale qui prime avant le départ et pendant toute la mission ». Comme le note le Dr Dalmasso, « nous ne sommes pas en situation de solitude à proprement parler, nous partageons un huis-clos au sein d’une équipe de 25 personnes. Il faut savoir gérer la pression au sein du groupe, ainsi que les relations avec l’extérieur. » Malgré les tests de sélection subis par tous les candidats, « des difficultés d’adaptation peuvent survenir en cours de mission, constate encore le Dr Bachelard; nos médecins savent y faire face et traiter les deux versants pathologiques susceptibles de se présenter : les tendances dépressives et les manifestations agressives. »
Travaux scientifiques.
Depuis1997, le SSA (Service de santé des armées), dans le cadre de sa restructuration, s’est retiré des TAAF, qui doivent assurer seuls leur recrutement médical. « Avec l’évolution de la démographie médicale et la tendance massive à limiter l’exercice à d’actes spécialisés, notre mission devient de plus en plus problématique, déplore le médecin-chef des Territoires. Les conditions financières que nous proposons sont décentes, de l’ordre de 5 000 à 6 000 euros mensuels, mais pas à proprement parler attractives. La motivation procède avant tout de la découverte de régions extraordinaires, qui font rêver, et de travaux scientifiques axés sur les thématiques très actuelles liées au réchauffement climatique : étude des stratégies d’adaptation des espèces, des stratégies de survie aux conditions extrêmes et des évolutions psychologiques et psychosociologiques des populations autochtones, confrontées au confinement et à l’isolement. »
Si les nouvelles recrues se font quelque peu désirer, les anciens en redemandent. « Le plus dur, dans ces missions, confie le Dr Dalmasso, c’est quand il faut reprendre la vie routinière, au retour. Quand vous quittez l’île, tous les anciens vous le diront, vous n’avez qu’une idée, y retourner. » « Ces expériences sont la chance de ma vie, estime de son côté le Dr Belleoud. Je repars demain si le Dr Bachelard me le demande. » Prochains départs pour les hivernages : mars et août 2011.
Site www.taaf.fr, courriel taaf.medecine@wanadoo.fr, tél. 01.56.91.50.33
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation