Mauvaise nouvelle pour les éleveurs de pavot : des chercheurs californiens et canadiens affirment avoir découvert le dernier chaînon qui leur manquait pour arriver à synthétiser des opioïdes à partir de levure génétiquement modifiée. Le recours à la culture ancestrale de la fleur ne serait donc théoriquement plus nécessaire. Les auteurs envisagent de produire une souche de levure « fiable » d’ici à deux ans.
Le processus de fabrication est décrit dans une étude publiée cette semaine dans la revue « Nature Chemical Biology ». Les auteurs ont introduit dans la levure Saccharomyces cerevisiae un gène de betterave, qui permet de transformer la tyrosine en réticuline – le point de départ pour produire de la morphine, de la codéine et d’autres opiacées. Si la transformation de réticuline en morphine par la levure était déjà connue, il manquait cependant une étape clé : la transformation de la tyrosine en réticuline.
Des avantages difficiles à appréhender
Les auteurs affirment que la production d’opiacés par ce processus permettrait, entre autres, de diminuer le prix des analgésiques et de réduire les problèmes de dépendance aux opiacés. Mais ces arguments laissent certains spécialistes perplexes, comme le Dr Bertrand Lebeau, addictologue à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. « Je ne vois pas très bien pourquoi une morphine fabriquée selon une modalité complètement différente, à partir d’une levure génétiquement modifiée, n’aurait pas les mêmes propriétés addictives que la morphine naturelle sur le système nerveux central. Les propriétés addictives ne sont pas liées au pavot lui-même, elles sont liées à la structure de la molécule de morphine. Et donc, que ce soit de la morphine produite à partir du pavot, ou que ce soit de la morphine produite par cette nouvelle technique, qui semble apparemment relativement simple à mettre en œuvre, en terme de dépendance, je ne vois pas ce que ça change, note-t-il. Et si la molécule est modifiée, ce n’est plus de la morphine. Le praticien n’est pas plus convaincu par l’avantage que représenterait cette production en terme de coût. « Une ampoule de morphine à l’hôpital, ça coûte quelques dizaines de centimes d’euro... c’est une chimie qui date d’il y a deux siècles, donc la valeur ajoutée est extrêmement faible. »
Un besoin d’encadrement
Les risques de dérives sont par contre, eux, plus concrets. Des spécialistes ont d’ailleurs publié une tribune dans « Nature », appelant à « réfléchir à des moyens d’encadrer ces recherches et de prévenir de possibles abus ». Ces auteurs s’alarment : « En principe, toute personne ayant accès à cette souche de levure, avec une connaissance de base du processus de fermentation, et possédant un kit maison pour brasser sa propre bière devrait être capable de synthétiser cette levure productrice de morphine. » Ils réclament une réglementation plus sévère, le renforcement de la sécurité des laboratoires et la limitation de la production des souches de levure pour empêcher les narcotrafiquants de s’en procurer.
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