Manuel Valls a largement expliqué ce que Michel Rocard représentait pour lui, à la fois sur le plan personnel et sur le plan politique. Il ne s'est pas servi de cette filiation pour combattre les arguments des frondeurs du PS très hostiles à son action. Eux-mêmes n'ont pas cru utile de dire que ce qu'ils rejettent, ce sont les idées de la « deuxième gauche », celle qui a structuré les réformes allemandes, le programme de Bill Clinton et la politique économique de Tony Blair. Si le réformisme de Rocard n'a pas changé la vie publique, pourquoi alors célébrer son souvenir ? En réalité, l'ancien Premier ministre, qui n'a gouverné que pendant trois ans, a laissé une trace profonde. Il a pacifié la Nouvelle-Calédonie, il a inventé la CSG, certes coûteuse pour le contribuable, mais sans laquelle nos déficits sociaux seraient encore pires que ce qu'ils sont, il a mis en place le revenu minimum d'insertion. Et nul ne nie aujourd'hui qu'il aurait pu agir davantage, avec des résultats durables, si François Mitterrand, qui ne l'aimait guère, ne voulait pas le remplacer par Edith Cresson.
L'amnésie des frondeurs
Entre 1991, année où Rocard a quitté Matignon et aujourd'hui, que s'est-il passé ? En termes de réformes nationales, à peu près rien. La France s'est principalement organisée, dans la dernière décennie du siècle dernier, pour absorber le choc du marché unique européen, puis, l'euro, tous progrès que l'on doit à Jacques Delors. Les Allemands ont compris, alors que nous changions de siècle, qu'ils devaient modifier leurs structures de production, passer à une politique de l'offre, augmenter leur compétitivité. Ils en avaient bien besoin : les Français, en 2000, avaient un niveau de vie supérieur à celui des Allemands. Après le départ de Mitterrand, Lionel Jospin a géré quelques années de croissance, puis Jacques Chirac, malgré des discours de campagne prometteurs, a renoncé à soigner ce qu'il appelait la « fracture sociale », un excellent slogan qu'il a remisé une fois qu'il fut élu.
De fil en aiguille, ou plutôt de crise en crise, nous en sommes arrivés à la nomination de Manuel Valls à Matignon. On peut lui adresser de nombreux reproches, notamment sur sa communication ; on peut dénoncer chez lui une forme de brutalité dans les rapports avec les corps constitués. Mais il ne fait pas autre chose que du rocardisme. Et si le gouvernement est bloqué dans toutes ses initiatives, c'est parce que jamais, au grand jamais, ses multiples opposants de gauche ne reconnaîtront sa filiation avec Rocard, dont le nom leur arracherait la langue. Car ils seraient contraints d'admettre à la fois l'importance qu'il a eue au PS et la force d'une philosophie politique qui a été mise en œuvre avec un certain succès. Il leur est plus facile de dire que M. Valls est autoritaire, s'inspire des pires idées de la droite, ou a un côté réactionnaire.
Ces accusations ad hominem évitent le débat sur le fond. Arnaud Montebourg continue à lancer des piques contre la mondialisation comme s'il pouvait proposer une seule mesure raisonnable pour y échapper ; Martine Aubry reste dans son rôle d'opposante interne en oubliant qu'elle est la fille de Jacques Delors, mais sans nous expliquer comment ses idées sont compatibles avec celles de son père et avec ce qu'il a construit de ses mains ; et les autres frondeurs, en fait, feignent d'avoir oublié Rocard sous le prétexte que le monde a changé et que ce qu'il disait il y a vingt ans, comme aujourd'hui, ne s'appliquerait plus aujourd'hui à la réalité du monde. Mais l'ex-Premier ministre s'est rappelé à eux juste avant de mourir dans un entretien-fleuve avec « le Point », où il parlait de la « gauche la plus bête du monde ».
Michel Rocard n'était pas moins socialiste que Benoît Hamon ou que Christian Paul. Il avait seulement compris que, dans une période de mutation pratiquement incrontrôlable, le PS doit muer au même rythme. Ce qui divise les socialistes n'est rien d'autre en réalité qu'une querelle entre anciens et modernes, entre conservateurs et réformistes, entre nostalgiques impénitents et futuristes ou visionnaires. Michel Rocard a travaillé jusqu'au dernier jour de sa vie. Il est mort à 85 ans, mais c'était un homme jeune, audacieux, passionné. Un homme pour la jeunesse française qui a tellement besoin qu'on lui donne enfin sa chance.
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