« DANS UN DOMAINE où dominent l’ignorance et la polémique, il était grand temps de créer une instance scientifique,fondée non sur une vision de conviction, mais sur une démarche de raison », constate le Pr Christian Hervé. C’est dans ce but que le directeur du laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale de l’université Paris V René Descartes a été sollicité par Jean-Paul Delevoye, alors Médiateur de la République, et Hervé Machi, secrétaire général de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). Formation de troisième cycle unique en France (depuis l’arrêt, en 2003, du cursus qu’avait dirigé à Lyon II le Pr Liliane Daligand), le nouveau diplôme universitaire a été rodé cette année à l’attention de divers publics : médecins, psychologues, magistrats, policiers. Pour explorer le champ très complexe de l’emprise sectaire, des spécialités très variées sont mises à contribution, telles que la psychanalyse, la psychologie, la psychiatrie comportementale, la sociologie, l’histoire, le droit, la médecine des catastrophes, ou la gestion de crises. « Dans le cadre de cette multidisciplinarité, explique le Pr Hervé, nous faisons appel à des chercheurs qui ne se limitent pas à des témoignages personnels et à des histoires de vie, mais qui documentent leurs travaux sur des populations plus larges. » Huit modules de trois jours chacun (du jeudi au samedi) ont été élaborés, pour un enseignement de 158 heures au total, qui étudient les structures et le processus sectaires (structure sociétale projective de substitution, processus d’emprise, états modifiés de la conscience) ; les différentes catégories de victimes (profil des « recrutables », enfants, personnes âgées) ; les gourous (pas toujours celui auquel on pense : division, hiérarchisation, surenchère, accès au mystère) ; la psychodynamique criminogène des sectes. Figurent aussi au programme les rapports des sectes avec l’argent, les entreprises, les drogues, les associations humanitaires, les médias.
Sectes et médecines alternatives
Evidemment, les liaisons dangereuses entre santé et dérives sectaires sont passées en revue. Selon le guide publié récemment par la Miviludes, pas moins de 3 000 médecins seraient en lien avec la mouvance sectaire et les dérives sectaires dans le domaine de la santé ne représenteraient pas moins du quart des signalements traités par la Mission (« Le Quotidien » du 16 avril). « Beaucoup de sectes sont spécialisées dans des médecines alternatives, relève Sonya Jougla, psychologue clinicienne et coordinatrice du DU, elles dispensent des pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique (PNCAVT), des méthodes thérapeutiques illusoires (MTI), comme l’instinctothérapie. »
Certains groupes ont des terrains de chasse purement religieux, comme la Scientologie, ou les Témoins de Jéhovah, mais, souligne la coordinatrice, « aucune religion n’est à l’abri de ces dérives, avec des phénomènes de dérive qui ont pu être observées au sein d’églises reconnues par l’Etat (Opus Dei, Béatitudes). Des groupes sectaires font parfois profession d’athéisme, comme celui de Raël. Des gourous sont encore à l’œuvre au sein d’administrations, civiles ou militaires ».
A travers cette diversité extrême des groupes qui relèvent de la dynamique sectaire, le DU s’emploie à mettre en évidence les mêmes situations d’enfermement psychique des victimes, l’incapacité d’exercer leur libre arbitre dans laquelle elles sont maintenues, ainsi que les limites des exfiltrations. Des schémas d’expertises psychiatriques et psychologiques sont proposés pour repérer les situations d’aliénation sectaire.
Outre cette capacité diagnostique, le DU dispense des compétences nécessaires pour les prises en charge spécialisées, celles des psychiatres et pédopsychiatres bien sûr, mais encore celles des médecins scolaires et des médecins du travail.
Pour assister des professionnels de santé qui restent isolés auprès des victimes, des relais ordinaux fonctionnent au sein des conseils départementaux de l’Ordre des médecins, ainsi que dans les ARS (agences régionales de santé), avec des référents chargés des dérives sectaires. Le DU de Paris Descartes voudrait aller plus loin. « Nous souhaitons mettre en place un réseau de professionnels formés à cette psychotraumatologie spécifique, annonce le Pr Hervé. Notre objectif, insiste-t-il, n’est pas la lutte contre les sectes, mais l’aide apportée à leurs victimes. » Ce qui n’a pas empêché plusieurs groupes sectaires d’adresser des mails de protestation à Paris V.
Renseignements et inscription : 01.42.86. 20.89 et 01.42.86.41.32, jeanne.besse@parisdescartes.fr, droits d’enseignement : 1 000 euros (formation initiale) et 1 550 euros (formation continue).
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