Se définissant comme « réaliste » plutôt que « pessimiste », le Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique, a dressé un panorama de la situation épidémique actuelle et a donné ses perspectives sur son évolution à court terme lors des « Contrepoints de la Santé »* du 19 janvier. « C’est une année clé car c’est celle de l’arrivée des vaccins, et c’est avec les vaccins que l’on sortira de cette pandémie », a-t-il commencé, anticipant « trois mois très difficiles » et une amélioration « à l’automne ».
La situation actuelle en France relève, selon lui, d’un « paradoxe », avec « depuis plus d’un mois », des « chiffres stables [contaminations, hospitalisations, N.D.L.R.] s’aggravant doucement ». Les fêtes de fin d’année n’ont pas donné lieu à une explosion des cas, comme cela a pu être craint. À l’inverse, se testant massivement avant de retrouver leurs proches âgés ou fragiles, les Français ont fait preuve d’un « bon sens remarquable », juge-t-il, soulignant le rôle pédagogique des médecins.
Encore trop peu de données sur le variant sud-africain
Son inquiétude vient de l’émergence de nouveaux variants qui « bousculent la donne ». Le variant sud-africain notamment reste peu connu et menace La Réunion et Mayotte, même si les clusters y sont « pour l’instant contrôlés », indique-t-il. Peu de données sont disponibles sur ce variant.
« On sait que sa transmissibilité est plus importante que celle du variant britannique, explique-t-il. On sait aussi que les anticorps monoclonaux neutralisent beaucoup moins le virus sud-africain ». Alors que des inconnues demeurent également sur son interaction avec les vaccins, l’immunologiste espère disposer de plus de données « dans les 10 jours à venir ».
Le variant VOC 202012/01, originaire du Royaume-Uni, est mieux connu. Identifié en septembre chez un sujet immunodéprimé, il a émergé doucement jusqu’à représenter « aujourd’hui 50 à 70 % des virus en circulation dans certains territoires de l’Angleterre », indique Jean-François Delfraissy.
Présent en France depuis mi-décembre, il représenterait autour de 1 % des 100 000 PCR positives des 7 et 8 janvier, examinées par Santé publique France, dans sa première enquête Flash sur ce variant. Avec « la nouvelle enquête la semaine prochaine, ce sera sûrement autour de 4 % », anticipe-t-il, estimant à 12 % le taux de personnes infectées en population générale mais à 20 % en Île-de-France.
En s’appuyant sur les données venues du Royaume-Uni montrant un R0 passé de 1 à 1,4 avec le VOC 202012/01, « les modélisations montrent une nouvelle vague probable en mars », rapporte le Pr Delfraissy.
Une course entre vaccination et variants
La situation est ainsi celle d’une course entre les nouvelles mutations, dont la propagation massive nous inscrirait dans « le scénario d’un jour sans fin », et les vaccins, pouvant permettre « une pression immunologique suffisamment forte pour bloquer » le virus, résume le président du Conseil scientifique. « Si vous avez une réaction immunologique très forte avec un vaccin puissant, et une majorité de la population vaccinée, le vaccin domine. Si vous avez un vaccin avec une efficacité faible et une faible partie de la population vaccinée, les mutations du virus peuvent dépasser l’effet du vaccin », poursuit-il.
En France, cette course « ne remet pas en cause la stratégie vaccinale », ajoute Jean-François Delfraissy. L’enjeu de ce début de campagne est de « sauver des vies », rappelle-t-il. En l’absence de données sur l’effet des vaccins sur la transmission du virus, l’objectif de la vaccination est de réduire le risque de formes graves dans la population et « la pression sur les hôpitaux et le système de soins », pour que « le mois de mars 2021 ne ressemble pas à mars 2020 », interpelle-t-il.
Faisant le pari d’une campagne qui emporte la conviction des hésitants, il juge que « l’élément bloquant sera la capacité des industriels à produire les doses suffisantes ». Sur l’efficacité des deux premiers vaccins autorisés contre le variant dit britannique, « on saura très vite », prédit-il au vu de l’avancée de la vaccination dans le pays.
En ce début de campagne en France, le maintien des mesures barrières reste « nécessaire », selon le Pr Delfraissy. Les travaux dirigés par Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur et membre du Conseil scientifique, montrent « qu’on s’infecte quand on enlève son masque pour manger ou pour boire. Les faits sont là, tranche-t-il. Dans les transports en commun, à partir du moment où on porte le masque standard, il y a peu de contagions ».
Auto-isolement des plus âgés ou fragiles
Dans ce contexte, il invite les plus âgés à l’auto-isolement. « C’est un sujet difficile. Je l’ai déjà évoqué en mai, ça a été mal reçu. Mais je récidive : pour les plus âgés, avant la vaccination, vous vous auto-isolez », insiste-t-il, assurant que « la plupart des médecins pensent comme (lui) ».
Ces derniers seront d’ailleurs associés, selon le Pr Delfraissy, à la vaccination « avec les prochains vaccins » qui ne nécessiteront pas une logistique si importante. Sur le « passeport vaccinal », il estime la question « mal posée » : « Alors qu’on ne sait toujours pas si les vaccins arrêtent la transmission (…), on est à côté de nos pompes. »
Enfin, interrogé sur sa participation au Conseil scientifique, celui qui souhaitait le quitter cet été, jugeant sa place moins pertinente dans la perspective de la vaccination, estime désormais, qu’« avec les variants, la question ne se pose plus ». Le Pr Delfraissy a ainsi annoncé l’intégration de nouveaux membres dans l’instance : un vétérinaire, Thierry Lefrançois, qui sera suivi par les représentants de deux spécialités, l’infectiologie et la gériatrie.
* « Les Contrepoints de la santé » sont organisés par Ortus, agence de communication et d’information spécialisée en décision et management en santé
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