Cultures alimentaires et télévision

De l’expertise à la diversité des expériences

Publié le 25/11/2010
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Crédit photo : M6

L’ÉVOLUTION de la relation des téléspectateurs à la télévision a-t-elle suivi celle de leur relation à la cuisine ? Autrement dit, y a-t-il une correspondance entre les « trois âges » de la télévision (paléo-, néo- et post-télévision) et le passage de la cuisine « contrainte » à la cuisine « plaisir », qui, durant le même temps, a caractérisé le changement socioculturel autour de l’alimentation ? Oui, répond Jean-Louis Missika.

La première période télévisuelle (1950-1975) est celle de « l’information-institution », indique le spécialiste des médias. La paléotélévision était une télévision « messagère » qui ordonne et commande, avec comme seules paroles autorisées celles de l’expert et du pouvoir. Ce rapport pédagogique entre l’expert et le téléspectateur se retrouve dans la première émission télévisuelle consacrée à la cuisine (« Art et magie de la cuisine ») au cours de laquelle le savoir culinaire était transmis par son créateur Raymond Oliver.

Le passage à la néotélévision (1975-1995), avec laquelle apparaît « l’information spectacle », marque « la fin du monopole de la parole légitime, explique Jean-Louis Missika. D’un seul coup, le téléspectateur traverse l’écran et se retrouve comme témoin au côté de l’expert ». La néotélévision est une télévision « missionnaire » qui considère avoir un rôle à jouer dans la reconstitution du lien social. À cette période apparaissent deux genres importants que sont le talk-show et le reality-show. « On change alors complètement de héros », de Raymond Oliver à Maïté, « la cuisinière experte, mais amie ». Le concept de l’émission reste la présentation de la recette de cuisine, mais on voit déjà poindre une nouvelle figure dans les talk-shows, à savoir le critique qui remplace l’expert. « Le dispositif narratif change complètement et passe de la recette au produit », ajoute Jean-Louis Missika. Et, surtout, le registre de la narration devient polémique : « Le terrain contre la malbouffe », credo de Jean-Pierre Coffe. On assiste ainsi à une transformation des personnages principaux des émissions de cuisine. Mais contrairement à d’autres pays, aucune émission culinaire n’est encore programmée en prime time.

Nouveaux héros.

Le troisième âge de la télévision est celui de la post-télévision (1995-2010), une télévision « Pygmalion » portée par l’apparition de la téléréalité. « On est dans l’être soi-même, dans l’individualisme revendiqué ». De la néo- à la post-télévision, « le déplacement est à la fois infinitésimal et extrêmement important », fait remarquer Jean-Louis Missika. Ce sont toujours des personnes ordinaires qui vont s’exprimer dans les émissions. Cependant, alors que dans les reality shows, elles devaient avoir vécu des événements extraordinaires, dans la téléréalité, leur vécu a peu d’importance, il suffit d’être sélectionné, mais avec un élément clé : le dépassement de soi.

À l’ère de la post-télévision et de la cuisine « plaisir », « il y a une rencontre entre une télévision en quête d’émission sur l’épanouissement personnel et le faire soi-même, et une culture alimentaire qui mobilise les valeurs de réalisation de soi, d’authenticité, de bien-être et de convivialité », souligne Jean-Louis Missika. Aux premières stars, qui étaient des stéréotypes, succèdent de nouveaux héros qui sont divers, ont des convictions et une histoire personnelle revendiquée, et vivent des aventures exceptionnelles. Le concept des émissions « n’est plus centré sur la recette de cuisine expliquée. La recette est insérée dans une narration beaucoup plus complexe qui, dans toutes les émissions, joue avec la frontière entre professionnels et amateurs » : le professionnel rend visite à l’amateur et l’aide à réaliser son rêve (« Mon chef bien-aimé ») ou les amateurs défient le professionnel (« M.I.A.M »). Parmi les trois grandes émissions emblématiques françaises de téléréalité, « Top chef », « Master Chef » et « Un dîner presque parfait », cette dernière, dans laquelle les amateurs sont jugés par leurs pairs, a la particularité de jouer sur la réussite du repas dans toutes ses dimensions (culinaire, mais aussi présentation et convivialité). Chacune a sa façon a résolu le problème posé par l’hiatus entre le fondement des émissions de téléréalité – compétition et élimination des adversaires – et la convivialité.

Demain.

La télévision d’aujourd’hui propose également des documentaires de découverte de la culture alimentaire française et des autres cultures alimentaires (« Les Escapades de Petitrenaud », « Globe Cooker », « Fourchette & sac à dos », « Du terroir aux terroirs »). Enfin, « les blogs de cuisine sur Internet illustrent le potentiel de diversité, d’originalité et de créativité de la télévision connectée », la télévision de demain. Ce potentiel concerne autant l’élargissement du nombre de candidats pouvant participer aux concours culinaires, que l’enseignement, les régimes alimentaires (développement de diètes suivies à distance) et le commerce (vente de produits). « Nous allons avoir une télécuisine au même titre que le télétravail ou la télémédecine », estime Jean-Louis Missika, pour qui « la cuisine à la télévision survivra à la téléréalité ».

 Dr CATHERINE FABER

Source : Le Quotidien du Médecin: 8863