Le Quotidien : plusieurs aspects de la loi de santé sont contestés par les médecins. Pour ce qui est de la prévention est-ce une avancée ?
Dr François Bourdillon : Le titre I de la loi est consacré à la prévention, c’est tout un symbole. Affirmer qu’il faut faire de la prévention et de la promotion de la santé un axe prioritaire de la politique de santé dans notre pays est un message fort. Des mesures importantes sont annoncées comme le parcours éducatif en santé à l’école, le paquet de tabac neutre, le système d’information nutritionnelle ou la création de la nouvelle agence de santé publique.
Quels seront les contours de cette future agence ?
L’agence regroupera l’institut de veille sanitaire (InVS) et l’institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES). S’y ajoutera l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS).
L’idée de la ministre que je partage, est de proposer une organisation plus cohérente et qui rassemble les expertises des 3 établissements. Il s’agit d’intégrer dans un seul continuum les fonctions définies par l’instance internationale des agences de santé publique (IANPHI) : la prévention, la promotion, la veille, la surveillance, l’alerte et ceci jusqu’à l’intervention de santé ; donc de proposer une réponse globale de santé publique.
La future agence aura-t-elle une dimension internationale ?
Nous sommes déjà dans cette logique. Des réservistes de l’EPRUS sont intervenus à l’étranger sur Ebola. Une dizaine d’épidémiologistes de l’InVS sont partis en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, la France et l’InVS, même si l’épidémie Ebola n’est pas terminée, travaillent dans une logique post Ebola de reconstruction du système de surveillance de la Guinée.
Par ailleurs nous participons de manière très active à la surveillance Européenne sous l’égide du Centre Européen de Contrôle et de prévention des maladies (ECDC) localisé en Suède.
Concrètement, quand et comment la future agence sera-t-elle organisée ?
Sur le plan juridique, elle sera probablement créée, début 2016 ; la loi de santé doit d’abord être votée. Le regroupement physique des trois agences sur un lieu unique sera plus tardif. L’agence sera située à Saint-Maurice sur le site de l’InVS. Je prépare pour la ministre un rapport d’orientation, de préfiguration où je proposerai des axes d’orientation. Je m’appuie pour cela sur les travaux de groupes de travail constitués d’agents des 3 établissements, travaux qui sont pour moi de vraies sources de propositions.
Les associations auront-elles un rôle dans cette future agence ?
Je suis un fervent partisan de la démocratie sanitaire. Il est évident que le processus d’ouverture vis-à-vis des parties prenantes sera poursuivi et étendu, notamment par la participation des acteurs et usagers de nos politiques de santé dans les instances et comités du futur établissement.
De ce point de vue, comment rendre plus efficace la communication en Santé ?
Le numérique est une révolution et naturellement l’INPES s’inscrit dans cette révolution. Si nous continuons à réaliser des campagnes TV, radio, ou dépliants, nous investissons d’autres champs comme l’aide à distance (ligne téléphonique et site web) sans oublier les réseaux sociaux. La prévention ne peut se penser qu’avec l’ensemble de ces moyens de communication en fonction des cibles que l’on veut toucher. Ces outils nous permettent d’apporter une réponse qui va bien au-delà de l’information et d’inscrire l’éducation pour la santé dans un processus interactif. Nous avons devant nous des enjeux importants : je pense en particulier à l’accompagnement du programme national de lutte contre le tabagisme ou à la promotion du nouveau système d’information nutritionnel et à celle de l’activité physique.
La lutte contre le tabagisme est précisément un point fort de la loi de santé. Quel sera le rôle de la future agence ?
Ce combat contre la première cause de mortalité (73 000 morts par an) est au cœur des actions de l’INPES et le restera pour la future agence. L’INPES est l’un des principaux acteurs du programme de réduction du tabagisme (PNRT). Nous observons les comportements de santé en matière de tabagisme, nous menons des campagnes anti-tabac, nous favorisons le renforcement des compétences psychosociales à l’école (apprendre notamment aux enfants à dire NON), nous accompagnons au sevrage tabagique, avec le dispositif tabac info service, une ligne téléphonique, un site Internet, et une application d’e-coaching. Je souhaiterais dans l’avenir développer un programme sur le modèle britannique incitant les fumeurs à arrêter de fumer pendant un mois via les réseaux sociaux, les pairs (adolescents, salariés). Par ailleurs, je me suis aussi engagé à ce que l’INPES puis la nouvelle agence, publie chaque année les chiffres de la consommation de tabac et non plus tous les 4 ans.
Dans ce domaine, nous sommes attentifs à l’usage de la cigarette électronique dont nous venons de publier des données sur sa prévalence. Nous attendons les résultats d’études pour apprécier son niveau d’efficacité dans le sevrage. Sa publicité devrait être limitée par la loi de santé car elle apparaît aujourd’hui comme un outil de publicité indirect du tabagisme.
La Santé environnement fera-t-elle partie des missions de la future agence ?
L’InVS a déjà développé une véritable expertise dans cette discipline encore méconnue car non enseignée à l’université, tout comme dans le champ de la santé au travail d’ailleurs. La biosurveillance permet grâce aux marqueurs environnementaux de suivre l’imprégnation de la population aux perturbateurs endocriniens, aux métaux lourds ou à d’autres substances comme les phtalates. Nous surveillons aussi l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé. La spécificité de la santé environnement est d’avoir à faire à des risques faibles mais auxquels est exposé un nombre élevé de personnes et de manière chronique. Ils sont difficiles à mettre en évidence et il faut des grandes bases de données pour les identifier. Dans le même ordre d’idée, l’InVS s’investit aussi sur la santé au travail. Aujourd’hui, nous sommes capables de suivre la population dans son environnement, au travail, à la maison et à l’école et c’est un vrai progrès.
Qu’implique le parcours éducatif en santé qui introduit dans la loi, la promotion de la santé à l’école ?
L’école est le lieu des apprentissages et les enfants doivent acquérir un socle de connaissances sur la santé tout au long de leur parcours éducatif. C’est le rôle des enseignants plutôt que celui des professionnels de santé. La future agence poursuivra le travail engagé par l’INPES en proposant des outils et un soutien méthodologique à l’éducation nationale.
Terminons par la vaccination. Le message a de plus en plus de mal à passer. Comment lutter contre le courant anti-vaccins ?
La parole publique doit être rassurante et pédagogique. Il faut être en capacité d’expliquer qu’on peut avoir la grippe même en ayant été vacciné. Les Français peuvent comprendre qu’un vaccin peut ne pas couvrir l’ensemble des souches qui circulent. Il faut aussi expliquer l’importance de la vaccination, outil majeur de prévention primaire dans une logique de réduction des risques et qui permet de réduire la mortalité de nos aînés.
La députée Sandrine Hurel a été missionnée pour mener une réflexion sur la place de l’obligation vaccinale. Certains estiment qu’elle dénature le processus de recommandations, en l’affaiblissant. D’autres plaident pour un régime d’obligation avec une liste actualisée régulièrement. Il reviendra à la future agence de santé publique de promouvoir la vaccination sur la base des données scientifiques les plus actuelles. Elle privilégiera le soutien des professionnels de santé.
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