Dr Matthias Heukaeufer, médecin sauveteur de réfugiés en mer pour MSF témoigne

Publié le 04/09/2015

Crédit photo : AFP

Médecins sans frontières (MSF) et le Migrant Offshore Aid Station (MOAS) ont lancé, depuis le mois de mai, une opération commune de recherche, de sauvetage et d’aide médicale en Méditerranée entre l’Afrique et l’Europe. Depuis le début des opérations, ils ont pu secourir plus de 13 000 personnes.

Ce vendredi matin, un des trois navires de sauvetage en mer de MSF, le « Bourbon Argos » – un releveur d’ancre de 70 mètres – a fait débarquer à Crotone, en Italie, plus d’un millier de réfugiés africains, en majorité érythréens, sauvés en mer il y a trois jours, à quelques kilomètres de la côte libyenne.

« Il me semblait que le nombre d’embarcations avait un peu diminué depuis la semaine dernière, avec le soulèvement des habitants de la ville de Zouara, en Libye, contre des passeurs… Mais au contraire, je crois qu’il y avait 7 opérations de sauvetages en cours simultanément, dans la même zone », explique le Dr Matthias Heukaeufer, embarqué depuis le 9 août sur le Bourbon Argos, pour sa deuxième mission MSF.

1 médecin, 3 infirmières

Ce cardiologue et spécialiste de médecine interne, qui pratique habituellement à l’hôpital de Greifswald, en Allemagne, est le seul médecin à bord, accompagné de trois infirmières. Disposant d’une salle d’urgence et d’une salle de consultation et d’observation, ils prodiguent aux réfugiés récupérés en mer les premiers soins, avant de les confier aux autorités italiennes.

L’équipage au complet comporte une trentaine de personnes, avec des spécialistes de recherche et de sauvetage en mer, des experts en logistique, en traitement et assainissement des eaux, ainsi que des médiateurs culturels.

1000 réfugiés sur 2 bateaux de pêche

Mardi dernier donc, vers 4h30 du matin, le NRCC (Nato Regional Cooperation Course) – qui coordonne depuis Rome les vaisseaux militaires et les trois navires de sauvetage MSF – a signalé un appel de détresse lancé par bateau dérivant à quelques kilomètres de Tripoli.

« Le bateau était trop proche de la côte pour qu’on le récupère tout de suite, nous avons dû attendre deux heures, explique le Dr Heukaeufer, qui décrit un risque d’attaques par les pirates en bateaux à moteurs. Nous restons généralement à 25 milles nautiques de la côte le jour, 35 la nuit », précise-t-il. L’équipage tente cependant de récupérer les réfugiés le plus tôt possible durant leur parcours de fortune. « Plus ils passent de temps en mer, plus il y a de risque de déshydratation, d’hyperthermie, mais aussi de chavirer ».

Sur ce premier petit bateau de pêche, 200 à 300 réfugiés sont à bord. « La première chose que l’on fait, c’est de descendre du Bourbon Agros et d’aller à leur rencontre avec notre propre petit bateau pneumatique, avec un traducteur arabe. Il faut absolument leur expliquer qu’il faut rester calme, qu’ils seront tous sauvés sinon, dans l’empressement de monter sur notre bateau, ils risquent faire chavirer le leur », explique-t-il.

Une demi-heure plus tard, une deuxième embarcation, un bateau de pêche plus grand, est repéré à l’aide du radar du Bourbon Argos. Cette fois, environ 800 personnes sont entassées.

« Les plus en forme montent d’eux-mêmes, et nous utilisons une grue pour récupérer les personnes inconscientes s’il y en a. Heureusement, ce n’est arrivé qu’une seule fois depuis que j’ai commencé ma mission. Nous avons sauvé un bateau qui avait dérivé pendant 37 heures, la plupart des passagers étaient presque inconscients, et il y avait 2 morts au fond du bateau ».

Soins à la queue leu leu

Une fois à bord, l’équipe médicale tente de rencontrer tous les réfugiés. « Lorsqu’il y a des cas graves, les gens sont généralement tous d’accords pour les faire passer en premier. Ensuite ils se mettent en file indienne et patientent. Mais il peut y avoir des conflits, notamment lorsque les réfugiés sont de différentes nationalités... Lorsqu’un groupe est majoritaire, il essaie de se faire soigner en premier ».

Selon le Dr Heukaeufer, chaque embarcation présente son propre lot de problèmes sanitaires. « Cette fois-ci, environ 80 % des hommes étaient atteints par la gale. Il faut comprendre que ces personnes voyagent souvent depuis des mois, parfois des années. Ensuite ils restent dans des conditions déplorables en Libye, ils ne changent pas d’habits, ne peuvent se laver, n’ont pas de toilettes. Ils ont souvent des blessures, faites sur le bateau ou parce qu’ils ont été torturés en Libye, ils présentent des irritations chimiques de la peau, car ils sont contraints à rester plusieurs heures assis dans l’essence sur les bateaux. »

Les embarcations comportent souvent des femmes enceintes. Lors de cette dernière opération, l’une d’elle a même dû être évacuée par les airs parce qu’elle accouchait.

Depuis début août, ce sont entre dix et douze bateaux de réfugiés que le Bourbon Argos a intercepté. Dans quelques jours, l’équipe sanitaire sera renouvelée. Mais le Dr Heukaeufer remontra à bord courant Octobre. « J’anticipe que le nombre de bateaux de fortune sera moins important, car les mauvais jours approchent ». À moins que le froid ne décourage pas les réfugiés, qui seront alors à la merci du mauvais temps en mer.

Clémentine Wallace

Source : lequotidiendumedecin.fr