Gaza : le Dr Kelly Dilworth (MSF) livre son témoignage depuis l’hôpital Al Shifa

Publié le 23/07/2014

Au 16e jour de l’offensive « Bordure protectrice » lancée le 8 juillet par Israël sur la bande de Gaza, l’Organisation des Nations unies (ONU) déplore plus de 652 morts côté palestinien, et 31 du côté israélien, et des milliers de blessés et de déplacés. Sur place, aux côtés de la Croix-Rouge internationale (CICR) et de l’ONU, Médecins sans frontières (MSF) est la seule organisation non gouvernementale (ONG) médicale internationale présente.

Le Dr Kelly Dilworth, anesthésiste réanimateur, a été la première médecin MSF à venir prêter main forte aux équipes palestiniennes de l’hôpital Al Shifa, dans la ville de Gaza, avant d’être rejointe par un urgentiste, qui officie en salle de déchocage, un chirurgien, et un autre anesthésiste.

La médecin, qui partage son temps entre le service des brûlés et les 6 salles du bloc, a d’abord été frappée par l’expertise du personnel palestinien en matière de médecine de guerre. « C’est une très importante équipe, qui assure les soins 24 heures sur 24 en se relayant. Il y a par exemple 30 à 40 anesthésistes, avec un à 2 seniors, 5 ou 6 juniors et 5 ou 6 techniciens. »

Le Dr Kelly Dilworth a vu « énormément de civils, blessés ou tués parmi les familles et 80 % ont des enfants ». Beaucoup souffrent de blessures liées aux explosions. « Si la personne est à proximité de l’explosion, elle est brûlée, des projectiles entrent dans son corps, le souffle détruit les poumons, la moelle épinière, et les membres. Ces gens-là meurent sur place ou décèdent en salle d’urgences. » Au bloc, les survivants sont polytraumatisés : « On voit des combinaisons trauma-crânien - trauma-thoracique, très différents des monotraumas des membres, qu’on observe lors de blessures par balles. » Au cours d’une nuit, le Dr Dilworth, a endormi 3 enfants de moins de 5 ans repris aux blocs : « Leurs blessures se sont réveillées tardivement : c’était des éclats. »

Quant aux blessés mineurs, atteints par des projectiles, leurs plaies sont nettoyées, ils prennent des antibiotiques, et quittent l’hôpital rapidement.

Rapidité, débrouille et solidarité

« Environ 25 % des blessés sont hospitalisés et 15 % passent au bloc », jauge le Dr Dilworth. Souvent les 6 salles tournent simultanément. La vitesse devient une vertu. « En France, les patients peuvent rester en salle de réveil une ou deux heures. Ici, c’est 10 minutes. Dès qu’ils sont réveillés et à peu près stabilisés, ils partent dans les services. Ça limite les techniques d’analgésie... »

La pratique médicale doit se plier aux contraintes en termes de médicaments et d’équipement médical, malgré les dons des ONG. « Nous avons des analgésiques, des opioïdes, des pansements, du sang, des médicaments de base mais il n’y a pas toujours les pièces pour les machines d’anesthésie ; par exemple, une seule salle possède un monitoring de CO2 expiré pour les cas très graves. Parfois, on endort sans capteur. Certains médicaments sont rationnés ou limités. On utilise du penthotal périmé depuis décembre 2013 car on n’a pas le choix. »

« Tout le monde se débrouille, on fait ce qu’on peut et on continue à rigoler... C’est notre mécanisme d’adaptation face à la colère, à la tristesse, à la frustration... », analyse le Dr Dilworth. Le sentiment d’incertitude et d’insécurité domine. « Nulle part nous sommes protégés, ni dans les voitures MSF, ni dans les ambulances ». Les médecins palestiniens sont en outre éprouvés par la situation de leurs proches en danger.

L’hôpital Al Shifa n’a pas encore été frappé, bien que des frappes aériennes soient tombées à 100 mètres du service des brûlés. Il est toujours approvisionné en eau, et des générateurs garantissent l’apport en électricité, ce qui est loin d’être le cas dans le reste de la bande, parfois éclairée qu’une à trois heures par jour.

Mais la clinique postopératoire MSF ne fonctionne plus qu’à 30 % de ses activités, l’intensité des bombardements empêchant les patients d’y accéder. L’ONG a aussi dû interrompre ses activités à l’hôpital Nasser de Khan Younis.

L’hôpital Al Aqsa, à Deir El Balah, a été la cible d’un bombardement le 21 juillet, provoquant la mort d’au moins 4 personnes, et la fuite de nombreux blessés.

MDM demande l’arrêt des bombardements

À l’extérieur de la bande de Gaza, d’autres ONG apportent un appui logistique important et repensent leur action dans ce territoire aux frontières tenaces.

Médecins du monde (MDM) est présent depuis 2002 dans la bande de Gaza en appui à 11 centres de santé primaires. À partir de septembre, l’ONG devait développer, avec les acteurs locaux, des salles d’urgences délocalisées dans ces centres, pour désengorger les hôpitaux.

Mais le conflit a mis en suspens ces opérations. Deux ou trois centres ont même dû fermer.

Désormais, l’urgence est à l’envoi depuis la Palestine de médicaments et de produits médicaux à la pharmacie centrale de Gaza, qui les redistribue sur le territoire. « Nous avons envoyé à Gaza des bandages, du matériel de transfusion, des médicaments intestinaux, des anticoagulants... des médicaments simples, mais qui viennent à manquer très rapidement », explique le coordinateur général Palestine de MDM, Owen Breuil. « Les infrastructures sont détruites, la circulation est complètement bloquée... Il a fallu négocier 3 jours avant de pouvoir acheminer les stocks. Aucune règle du droit humanitaire n’est respectée », poursuit-il.

L’ONG envisage aussi de mettre en place un soutien psychologique pour le personnel médical via une hotline qui serait tenue par des Palestiniens. Et réfléchit à l’après, avec la prise en charge psychologique des victimes mais aussi des femmes enceintes ou des malades chroniques. MDM demande l’arrêt immédiat des bombardements pour déployer l’aide humanitaire et soigner les civils, le CICR a condamné le bombardement de l’hôpital Al Aqsa et tente d’obtenir des trêves pour évacuer les blessés de Gaza.

Coline Garré

Source : lequotidiendumedecin.fr