La publication dans « The Lancet » d'une nouvelle étude observationnelle défavorable à l'hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19 a tout fait basculer. Dès le lendemain, le samedi 23 mai, le ministre de la Santé Olivier Véran a saisi le Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
Alors que le Haut Conseil vient de rendre un avis défavorable, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) demandent la suspension des essais cliniques testant la molécule dans l'infection.
L'étude du « Lancet » suggère en effet à partir des données de 96 000 patients hospitalisés pour une infection au Covid-19 et traités par de la chloroquine ou de l'hydroxychloroquine (HCQ) une surmortalité et un sur-risque d'arythmie ventriculaire.
Dans son avis daté du 24 mai et publié ce 26 mai, le HCSP recommande ainsi de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine (seule ou associée à un macrolide) dans le traitement du Covid-19, chez les patients, ambulatoires ou hospitalisés, et ce, quel que soit le niveau de gravité.
Le HCSP recommande aussi d’évaluer le bénéfice/risque de l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans les essais thérapeutiques en cours et à venir et de renforcer la régulation nationale et internationale des différents essais évaluant l’hydroxychloroquine dans le Covid-19.
Balance bénéfice/risque défavorable
Selon le HCSP, les données actuelles disponibles n’apportent pas la preuve d’un bénéfice de l’hydroxychloroquine isolément ou en association à un macrolide sur l’évolution du Covid-19 ; elles démontrent au contraire une toxicité cardiaque de l’hydroxychloroquine, particulièrement en association avec l’azithromycine. Si bien que la balance bénéfice/risque de l’hydroxychloroquine seule et en association à un macrolide est défavorable.
Le HCSP fonde son avis sur une série d'éléments, à commencer par une revue de la littérature. Celle-ci prend en compte l'article du Dr Mandeep Mehra et coll. publié dans « The Lancet », estimant qu'elle a été « correctement menée » : malgré l’absence de randomisation, elle est ajustée sur plusieurs facteurs potentiellement confondants et porte sur des grands nombres de patients homogènes par rapport au début des symptômes, lit-on.
Le groupe de travail du HCSP a aussi passé au crible une vingtaine d'articles (parfois encore à l'état de prépublication): « aucune étude publiée au 24 mai 2020, n’a apporté la preuve, quel que soit son niveau, qu’un traitement pouvait être sûr et efficace pour lutter spécifiquement contre le Covid-19. Il n'y a pas de données suffisantes pour recommander l'utilisation d’un traitement par hydroxychloroquine chez les patients atteints de Covid-19 que ce soit pour les formes légères, modérées, graves ou critiques », conclut-il.
Le HCSP a par ailleurs pris en compte les données du réseau national des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV), qui font état d'un nombre de notifications d’effets indésirables cardiaques associés à ces traitements de 25 à 30 par semaine, mais aussi de préconisations mal appliquées (surveillance ECG et compensation des hypokaliémies notamment).
Enfin, le HCSP a regardé les recommandations internationales, défavorables à l’utilisation de l’hydroxychloroquine hors du cadre d’essais cliniques - seule indication où elle est possible en France depuis un décret du 26 mars, au grand dam du collectif « Laissons les médecins prescrire ».
Suspension du bras HCQ dans les essais Solidarity et Discovery
L'avis défavorable du HCSP arrive alors que l'OMS a annoncé dès le 23 mai (toujours à la suite de l'article du « Lancet ») suspendre « temporairement » l'allocation des patients dans le bras HCQ de son essai européen Solidarity, le temps que les données recueillies « soient examinées », a indiqué le directeur général de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus. Pour rappel, Solidarity comporte cinq bras : un premier traité par le remdesivir, cet antiviral conçu initialement pour Ebola, un deuxième traité par une association lopinavir-ritonavir, un troisième par interféron bêta, un quatrième par hydroxychloroquine et un bras traitement symptomatique seul.
En conséquence, sa déclinaison française, l’essai Discovery continue (tant bien que mal) en France et dans d'autres pays européens mais avec suspension du bras hydroxychloroquine.
L'ANSM veut la suspension de tous les essais cliniques sur l'HCQ
L'ANSM confirme de son côté avoir lancé auprès des promoteurs évaluant l’hydroxychloroquine, une procédure de suspension des inclusions de patients dans les 16 essais cliniques autorisés en France. Cette procédure prendra effet après un délai de contradictoire de 24 heures. Les patients en cours de traitement avec de l’hydroxychloroquine dans le cadre de ces essais cliniques pourront le poursuivre jusqu’à la fin du protocole, précise l'agence.
À l'étranger, nombreux sont les pays qui circonscrivent le recours à l'HCQ au cadre des essais cliniques. C'est notamment le cas du Royaume-Uni, qui, à la différence de la France et l'OMS, poursuit l'inclusion des patients dans son essai Recovery. Quelques pays se distinguent plus radicalement, comme le Brésil, où le ministère de la santé recommande l'HCQ pour tous les patients légèrement atteints par le Covid-19, la Russie, ou encore certains pays d'Afrique.
Raoult s'en fiche
Le Pr Didier Raoult, patron de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée-Infection de Marseille, ne s'est guère laissé émouvoir par les critiques émises contre l'hydroxychloroquine, dont il est un fervent défenseur dans le traitement contre le Covid-19. L'étude du « Lancet » : « foireuse », a-t-il cinglé, « car réalisée par des gens qui n'ont pas vu de patients ». L'avis du HCSP : « une opinion comme une autre, si vous voulez je m'en fiche un peu. Le vrai problème, c’est la crédibilité, qui est crédible ? », s'exclame-t-il dans un entretien qui doit être diffusé sur LCI dans l'émission 24 heures Pujadas. Quant à l'OMS : elle dit « des bêtises sans arrêt », considère l'infectiologue.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation