LE QUOTIDIEN - Estimez-vous qu’on ne parle pas suffisamment de l’allaitement maternel dans notre société?
Pr CHARLOTTE CASPER - On peut noter que des efforts sont faits au niveau national : le programme national Nutrition Santé (PNNS) recommande d’allaiter son enfant, la Haute Autorité de santé s’est positionnée sur un allaitement de six mois. Mais dans la pratique quotidienne, l’allaitement est encore trop mal connu des professionnels. Les efforts, hétérogènes, ne sont pas toujours coordonnés. Le grand public pourrait être mieux informé : une mère qui allaite a besoin du soutien de sa famille, de son entourage. Or, dès que le bébé pleure, l’allaitement est immédiatement remis en question. Par ailleurs, on parle probablement trop tard de l’allaitement naturel. Il faut que la femme enceinte ait le temps de se positionner avant se focaliser sur l’accouchement. Le mieux serait même d’en parler avant la grossesse.
La philosophe Élisabeth Badinter a créé la polémique, l’année dernière, en regrettant que les femmes soient contraintes d’allaiter au nom de l’« idéologie de la femme parfaite ». Qu’en pensez-vous?
Ce que je sais, c’est que les associations qui encouragent l’allaitement agissent de manière tout à fait louable en direction des femmes qui souhaitent le faire. Aujourd’hui, la femme moderne veut à la fois travailler, s’occuper de ses enfants et allaiter (si c’est son souhait) : il me semble que c’est possible et qu’il n’y a pas forcément de choix à faire. La société doit s’adapter et trouver des solutions qui facilitent la vie des femmes avec de jeunes enfants.
LES BÉNÉFICES DE L’ALLAITEMENT SONT EXTRÊMEMENT IMPORTANTS
La dernière enquête nationale périnatale de 2010 montre que le taux d’allaitement exclusif a progressé, passant de 55 % en 2003 à 60 %...
En effet, les choses bougent petit à petit. Il y a quelques années, on ne trouvait aucune formation pour les professionnels. Le sujet devient maintenant incontournable. Il y a une prise de conscience. L’allaitement exclusif est indiqué comme étant idéal pour le nouveau-né jusqu’à six mois. Mais il ne s’agit pas d’une dictature. C’est évidemment la maman qui décide, en fonction de sa volonté, de son contexte familial et professionnel. La diversification est proposée aux nourrissons entre 4 et 6 mois.
Les sages-femmes ont-elles le temps de s’occuper de l’allaitement?
Je ne pense pas que le taux d’allaitement soit lié à la durée de l’hospitalisation en suite de couches. Dans les pays scandinaves, les mères qui allaitent en très grande majorité, rentrent très vite chez elles. Il faut en revanche un réseau de soutien qui n’est pas forcément hospitalier. Dans les maternités, le label « Hôpital Ami des bébés », créé par l’OMS et l’UNICEF en 1991, est décerné lorsque les conditions sont remplies pour soutenir l’allaitement. En France, très peu de maternités l’ont obtenu parce qu’on ne mise pas assez sur l’allaitement (selon le site amis-des-bébés.fr, 90 % des maternités norvégiennes sont labellisées, contre 12 en France en 2011, NDLR). Il faudrait arriver à concevoir une stratégie homogène et constructive pour l’allaitement. Mais cela demande du temps et de l’argent. La mise en place de l’allaitement est fragile.
Le bisphénol A a été interdit dans les biberons depuis 2010 mais il reste toujours présent dans le lait maternel. Que doivent donc faire les futures mères?
Beaucoup d’études ont été faites sur l’allaitement et les toxiques, mais ce domaine est encore à explorer. Il reste que les bénéfices de l’allaitement sont extrêmement importants : tous les experts en nutrition s’accordent sur ce point. Quoi qu’il en soit, l’enfant va être exposé au bisphénol A puisque ce composé est présent dans tout l’environnement. Je ne pense pas que l’allaitement maternel soit remis en question à cause des toxiques dans l’environnement.
Les enfants prématurés peuvent-ils bénéficier du lait maternel?
L’allaitement est d’autant plus pour eux. La nutrition est une des bases du traitement du prématuré. Dans tous les services de néonatalogie, le lait de mère est préconisé. Le lait artificiel est mal toléré chez un extrême prématuré lors de l’introduction de l’alimentation orale. En France, les femmes peuvent donner leur lait dans les 19 lactariums existants (liste sur perinat-france.org). Il y a toujours un besoin de lait.
Vous êtes coresponsable du diplôme interuniversitaire « Lactation humaine et allaitement maternel » à Toulouse. En quoi consiste-t-il?
Ce DIU, qui est dispensé à Grenoble, Lille, Brest et Toulouse, est coordonné par le Dr Gisèle Gremmo-Feger, pédiatre à la maternité du CHU de Brest. Il s’adresse aux professionnels (sages-femmes, puéricultrices, médecins) afin de leur donner des clés pour aider à conduire correctement un allaitement. Cet enseignement se fonde sur des connaissances scientifiques. Je suis persuadée que l’on peut renforcer la tendance grâce à une volonté politique et à la formation. Les pays scandinaves affichaient, dans les années 1970, un taux d’allaitement de 30 %. Actuellement, ils sont au-delà de 90 %.
* Étude de l’Institut des mamans pour Philips Avent menée en ligne, en juillet, auprès de 600 mères d’un enfant de moins d’un an.
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