Un livre du Pr Jean-Philippe Derenne

La bouilloire pour révolutionner la nutrition à l’hôpital

Publié le 15/03/2011
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Crédit photo : AFP

LE PR DERENNE signe le troisième volume du cycle « l’Amateur de cuisine », son épilogue après le premier tome éponyme (1996) et le second, « la cuisine vagabonde » (1999), qui avaient déjà rallié un vaste public au PU-PH, chef du service de pneumologie de La Pitié-Salpêtrière, bien au-delà du monde hospitalo-universitaire. Après le scénario catastrophe de deux autres ouvrages consacrés entre-temps à « la Grande menace » de la grippe A (en 2005 et 2009), voilà une singulière ode à la vie, à la fois technique et humaniste, universel et, au final, intime.

Il procède d’un principe simplissime : tout corps plongé dans une eau chauffée à 100° cuit. Certes, on n’avait pas attendu M. Derenne pour faire cuire des pâtes, du riz, ou se faire cuire un œuf (l’auteur a d’ailleurs retrouvé une recette des œufs coque publiée en 1818...) Mais la nouveauté vient ici de l’usage qui est proposé d’un appareillage peu encombrant au prix particulièrement modeste, utilisable par n’importe qui, n’importe où, sans nécessiter plaque de cuisson, four, casserole, faitout ou poêle : la bouilloire électrique, avec, en complément, un petit conteneur en plastique de congélation. Une prise suffit pour mettre l’art compliqué et souvent difficile de la cuisine à la portée d’un débutant, sans matériel ni connaissance préalable. Après une première partie technique, (la température de l’eau passant de 92°C à 80°C en cinq minutes, il s’agit de calibrer aussi précisément l’épaisseur des produits que les temps de cuisson), le répertoire des recettes proposées est digne des plus grands chefs : filet de bar à la Dugléré(3 minutes et demie en sac dans la bouilloire, avec un autre sachet contenant vin blanc, jus de citron, oignon doux, tomate, beurre et crème), dorade royale en meurette (trois minutes, avec du lard salé non fumé, beurre et vin rouge), petit ragoût de homard breton et coquilles saint-jacques au basilic (la messe est dite en 3 minutes et demie). Par dizaines, les recettes se suivent, toutes mises à la portée du premier amateur venu. Les poissons ont la part belle, mais les viandes sont aussi au menu, oiseaux, lapins, bœuf (à la moutarde, au poivre, au roquefort...). Sans même oublier les desserts (ananas au whisky tourbé des îles, rhubarbe à la pêche...).

Au fil des pages, surgissent des pépites historico-philosophiques : on apprend par exemple que le poète latin Ovide justifie la consommation du porc parce que cet animal « avait de son groin recourbé déterré les semences et anéanti l’espoir de l’année », celle du bouc, parce qu’il avait « mordu la vigne », ces deux animaux « se perdant par leur faute ». Mais l’auteur de « l’Art d’aimer » s’élève contre le fait de manger la viande du bovidé, « cet animal sans ruse et sans malice, inoffensif, ingénu, né pour supporter les fatigues. Oui, vraiment c’est un ingrat, indigne des présents de la terre, celui qui peut égorger son laboureur. »

Rôle pronostique.

En prenant congé de son lecteur, au tout dernier chapitre de ce savoureux et savant parcours, l’auteur révèle le pourquoi d’une démarche qui aurait pu paraître futile : la presque totalité des recettes ont été servies par lui à son épouse Jacqueline, et testées par elle, au cours de sa grave maladie, alors qu’elle était hospitalisée de nombreux mois, en 2007 et 2008. Elle a pu faire face aux complications, explique son mari, par la qualité des soins reçus, bien sûr, mais aussi grâce aux petits plats réalisés à la bouilloire. « On sait, note Jean-Philippe Derenne, que la nutrition joue un rôle pronostique majeur. » Alors que l’alimentation servie par les hôpitaux, même équilibrée, est inadaptée, la bouilloire de Jean-Philippe Derenne a participé à la lutte pour la vie de son épouse, jusqu’à son terme inexorable, survenu en décembre 2009. « Faire la cuisine, assure-t-il, est une des façons d’élaborer et de réaliser ces minidéclarations d’amitié et d’amour qui sont les jalons et les gages de la pérennité des sentiments. »

*« Cuisiner en tout temps en tous lieux, l’amateur de cuisine 3 », de Jean-Philippe Derenne, Fayard, 740 p., 23,40 euros.

CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8923