Dans « la Permanence », diffusée le 26 août à 22 h 25 sur Arte, la documentariste Alice Diop suit les consultations précarité de l'hôpital Avicenne de Bobigny. Ce film, fruit d'un long travail, a obtenu le prix de l'Institut français Louis-Marcorelles au festival international de films documentaires le Cinéma du réel.
Pendant un an, Alice Diop a filmé la consultation du Dr Geeraert qui reçoit toutes les semaines aux côtés d'une psychiatre des migrants « marqués dans leur chair, et pour qui la douleur dit les peines de l'exil », annonce le synopsis.
L'intimité de l'interaction entre un médecin et un patient
Le film se situe dans la veine des documentaires donnant à voir l'intimité de l'interaction entre un médecin et un patient, comme le film « Urgences » de Raymond Depardon tourné aux urgences psychiatriques de l'Hôtel-Dieu de Paris, en 1988 ou « la Consultation » d'Hélène de Crécy tourné dans le cabinet d'un médecin généraliste en 2005 et 2006. Alice Diop a, elle, posé sa caméra dans une permanence d'accès aux soins de santé (PASS) de Seine-Saint-Denis.
La spécificité de « la Permanence » tient en son public. Des migrants arrivés depuis peu, des demandeurs d'asile en attente d'une réponse de la préfecture, des sans-papiers déboutés… Hantés par leur parcours, habités par les souvenirs du pays d'origine, sans domicile fixe, sans sécurité sociale, en attente d'une AME ou d'une CMU. Le Dr Geeraert les accueille en plusieurs langues. Anglais au fort accent du sous-continent indien, espagnol appris à la va-vite, français hésitant ponctuent les 97 minutes de ce huis clos réunissant dans une salle de consultation le médecin généraliste, la discrète psychiatre et un patient.
Du Dr Geeraert, ce médecin généraliste exerçant en Seine-Saint-Denis depuis 35 ans, on ne voit souvent que le dos et la chevelure grisonnante floue dans un coin du cadre. Face au spectateur, les patients et leurs regards immenses. La réalisatrice Alice Diop, auteure de plusieurs films documentaires, dont « la Mort de Danton » et « Vers la tendresse », a découvert cette consultation « par le plus grand des hasards, raconte-t-elle. Je travaillais sur un film autour de la santé des plus démunis, et cette permanence de soins gratuits était une halte nécessaire pour mener à bien mon enquête. J’étais censée y passer quelques heures. J’y suis restée plusieurs mois. » Elle s'y rend régulièrement pendant un an comme observatrice avant de décider d'y consacrer un film. Les questions d'accès aux droits et d'accès aux soins prennent rapidement le pas sur les questions strictement médicales, auxquelles semblent consacrées les premières minutes du film.
Les PASS, mises en place par la loi de 1998 de lutte contre les exclusions, sont destinées aux patients en situation de grande précarité, partiellement ou totalement dépourvus de couverture sociale. Le ministère de la Santé en recense environ 400 à travers la France, dont une vingtaine se trouvent dans des hôpitaux de l'AP-HP. « La consultation précarité de l'hôpital Avicenne dans l'unité Villermé existe depuis une vingtaine d'années », explique le Dr Geeraert. Ces consultations précarité pionnières deviennent des PASS suite à la loi de 1998. Médecin en cabinet au Blanc-Mesnil, Jean-Pierre Geeraert est le coordinateur médical de la PASS de Bobigny où il consulte deux demi-journées par semaine. En tout, la PASS Avicenne propose cinq demi-journées de consultation de médecine générale par semaine et la présence d'une psychiatre une journée par semaine. Le coordinateur souligne « des moyens très faibles », dont la pérennité n'est pas assurée. La PASS Avicenne mène plus de 2 000 consultations par an.
Le binôme médecin-psychiatre
« L'originalité de notre consultation est le binôme médecin-psychiatre mis en place suite au constat que l'immense majorité des gens qui viennent nous voir souffrent de psychotraumatismes graves », explique le Dr Geeraert. À l'écran, des patients craquent en racontant par bribes leur parcours, leurs difficultés à avoir des nouvelles de leur famille, leur incertitude quant à l'avenir, leur désœuvrement et leur dénuement dans l'attente d'une hypothétique régularisation.
Ces situations économiques, sociales et psychologiques s'expriment par des maux de tête, des amnésies, des insomnies et ces étranges « vibrations » dans tout le corps, évoquées de manière récurrente par les patients. « J'ai mal partout » résume un homme du Sri Lanka où il raconte avoir été frappé par l'armée. « Nous avons petit à petit renoncé aux clivages habituels médecine/psychiatrie. Notre travail est unique dans les PASS puisque les PASS sont soit psychiatriques, soit médicales », expliquait la psychiatre de la PASS d'Avicenne, Evelyne Vaysse, en novembre 2015 dans un colloque organisé par l'association Ila Souria. Le « sentiment d'impuissance thérapeutique incite à travailler en binôme », ajoutait-elle. « C'est aussi moins dur pour nous d'être deux, ajoute le Dr Geeraert. Car on porte des récits terribles, de torture, de viols… »
Alliance thérapeutique
Dans le film, on l'entend soupirer : « Ça me fait bizarre de filer des antidépressseurs dans ces situations-là. Ce n'est que l'expression de notre impuissance. » C'est un des rares moments filmés d'échange avec la psychiatre et de commentaires sur leur pratique médicale. « Nous discutons du cas de chaque patient, mais il n'a pas été éthiquement possible de filmer ces moments », explique-t-il. La réalisatrice accompagnée d'un preneur de son a filmé la consultation du Dr Geeraert pendant un an.
Le médecin parle d'une « alliance thérapeutique » à propos de cette présence répétée. Ce film « a été possible dans la mesure où le preneur de son et Alice Diop ont fait partie de la consultation. La caméra joue un rôle dans le traitement. Les gens témoignent face à la caméra », décrit-il. Une approche confirmée par la psychiatre Evelyne Vaysse : « Nous n'enfermons pas le patient dans l'institution médicale et ses secrets mais nous rendons potentiellement publique sa parole. »
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation