À CHAQUE FOIS que se produit un fait-divers dramatique, mettant en cause une personne souffrant de troubles psychiatriques, c’est en général toujours la même polémique qui revient. Avec, à chaque fois les experts psychiatres en ligne de mire. « En général, nous avons toujours tort », constate le Dr Daniel Zagury, expert près de la Cour d’appel de Paris. Si on déclare le prévenu irresponsable pénalement, on nous accuse d’être des empêcheurs de punir en rond… Et si on prend une décision inverse, on va nous dire que c’est une honte qu’on remplisse les prisons avec des malades mentaux ».
Comme le stipule l’article 122-1 du code pénal, une personne ne peut être déclarée irresponsable que si elle était atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant « aboli » son discernement. Si ce trouble a seulement altéré son discernement, la personne peut être jugée. En 2005, 212 non-lieux psychiatriques ont été prononcés, au titre de cet article 122-1, durant une instruction, contre 286 en 1999 et 287 en 2000. « Comparé à l’ensemble des affaires pénales, le nombre de personnes, concernées par un non-lieu psychiatrique, reste très faible. Mais cela n’empêche pas les polémiques de continuer à prospérer », souligne le Dr Zagury, en ajoutant que la question de l’irresponsabilité pénale est centrale dans le droit pénal de la France et dans celui de tous les pays démocratiques. « Pour que la responsabilité pénale ait un sens, il faut bien que quelques personnes n’en relèvent pas. C’est un principe fondamental qu’on retrouve depuis l’Antiquité. C’est un principe qui existait dans le droit hébreu puis romain et qui a même continué à exister du temps de l’Inquisition ».
L’absence de procès ne gêne pas le travail de deuil.
Depuis quelques années, parfois attisée par la pression des médias et des responsables politiques, l’opinion publique accepte de moins en moins les décisions d’irresponsabilité pénale. « Dans la conscience collective, on voit de plus en plus apparaître ce sentiment que le « coupable » va échapper à la justice, que l’expert s’est « fait avoir » par un simulateur, que l’expertise psychiatrique n’est pas une science », indique le Dr Zagury, en ne cachant pas son agacement devant cette idée, largement relayée par les médias, que l’absence d’un procès va empêcher les proches de la victime de faire leur deuil. « C’est vraiment une tarte à la crème cette histoire de « faire son deuil » grâce au procès. C’est une énorme bêtise qui a été propagée par les psychologues davantage que par les psychiatres et qui n’a pas de sens. Imaginons qu’on juge une personne délirante qui, lors du procès, va se lever et dire à la famille de la victime : « oui, je l’ai tuée et c’est bien fait pour elle. Elle l’a bien cherché car elle était un suppôt du mal… ». Est-ce que ce type de déclarations peut vraiment aider la famille à faire son deuil ? ».
Dans certains dossiers, il arrive que les experts ne soient pas d’accord entre eux sur le niveau d’irresponsabilité du prévenu. « Dans ce type d’expertise, rétrospective et centrée sur la responsabilité du sujet, la première démarche de l’expert est bien sûr d’observer l’individu qui est en face de lui : est-ce qu’il se situe dans la normalité ? A-t-il des troubles de la personnalité, une pathologie psychiatrique ? Dans un deuxième temps, l’expert va se poser la question de l’état du sujet au moment des faits : était-il en proie à une bouffée délirante ? Était-il simplement dans un état passionnel ou de rage qui peut survenir chez chacun d’entre nous dans des circonstances particulières ? La troisième démarche de l’expert sera enfin de voir s’il existe un rapport entre l’état mental du sujet et les faits au moment où ceux-ci ont été commis », explique le Dr Zagury.
Il ajoute que, au final, les constats d’abolition du discernement restent assez rares. « Pour prononcer un 122-1, il faut des critères très stricts qui peuvent être appréciés de manière différente selon les experts. Il faut bien comprendre qu’ici, on n’est pas dans une démarche purement scientifique, mais dans une démarche médico-légale. Prenons par exemple le cas d’un schizophrène qui a violé sa voisine. Un premier expert pourra dire que certes, le sujet est schizophrène, mais qu’il a commis ce viol dans un contexte purement caractériel et rejeter l’abolition du discernement Un deuxième expert pourra, lui, conclure que l’activation des défenses caractérielles du sujet, au moment des faits, était liée à une décompensation psychotique et se prononcer pour un 122-1. En général, les querelles entre experts ne portent pas sur le diagnostic mais sur une question d’interprétation médico-légale ». Selon le Dr Zagury, certains experts ont une interprétation très restrictive de l’article 112-1, d’autres beaucoup plus extensive. « Certains ne font jamais de conclusions de 122-1, ce qui est presque un parti pris idéologique. D’autres en font trop, ce qui est tout aussi absurde », estime-t-il.
Au final, le Dr Zagury tient aussi à manifester sa colère face à ce « décalage invraisemblable entre les fortes annonces ministérielles, surtout après un fait-divers, et la situation totalement sinistrée d’une justice qui humilie littéralement les experts en les sous-payant, voire, comme c’est dans le cas dans certains tribunaux, en ne les payant plus du tout depuis un ou deux ans ».
D’après un entretien avec le Dr Daniel Zagury, établissement public de santé Ville-Evrard, expert près de la Cour d’appel de Paris.
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