Prise en charge des migrants et dépistage généralisé

Le COREVIH Lorraine-Champagne-Ardenne s’interroge

Publié le 30/03/2011
Article réservé aux abonnés
1311847059240725_IMG_57546_HR.jpg

1311847059240725_IMG_57546_HR.jpg
Crédit photo : AFP

PONT-À-MOUSSON, abbaye des Prémontrés. À égale distance de Metz et de Nancy, cette abbaye du XVIIIe qui a servi au moins deux fois dans son histoire d’hôpital, accueillait la semaine dernière les participants du forum organisé par le COREVIH Lorraine-Champagne-Ardenne. Un forum interrégional pour ce COREVIH qui présente la particularité de couvrir deux régions avec deux directeurs d’ARS (Agence régionale de santé). « Nous avons aussi fait le pari de bénéficier des deux budgets », a expliqué en ouverture son président, le Pr Thierry May, chef du service des maladies infectieuses et tropicales au CHU de Nancy.

Comme ses homologues, le COREVIH arrive au terme de son premier mandat de quatre ans. Toutefois, loin de proposer une soirée bilan, la réunion, à laquelle assistaient une soixantaine de professionnels de santé, de représentants associatifs et de représentants des ARS, s’est inscrite en pleine actualité du VIH/sida. En témoignent les deux thèmes soumis au débat : « Parcours de soins des migrants infectés par le VIH » ; « Plan Sida 2010-2014, enjeux du dépistage généralisé en médecine de ville et en milieu associatif ».

Dans un contexte de remise en cause du droit au séjour des étrangers gravement malades, les professionnels présents ont clairement exprimé leur inquiétude. Une des missions des COREVIH est « d’améliorer la prise en charge sanitaire des personnes particulièrement exposées, notamment des migrants, de faire en sorte qu’elles aillent plus facilement vers les établissements de soins se faire dépister et qu’elles n’aient pas peur une fois qu’elles sont dans la filière de soins de se voir refouler dans le pays d’où elles viennent », relève le Pr May. Alors que, de l’avis de tous, la situation en Lorraine et en Champagne-Ardenne était plutôt favorable au droit au séjour des migrants concernés par le VIH et les hépatites, la situation semble aller dans le sens d’un durcissement.

Menace d’expulsion.

À la fin de l’année 2010, « une demande de renouvellement de carte de séjour pour soins a été refusée pour un patient suivi depuis plusieurs années dans le service. Le refus était assorti d’une mesure d’expulsion. Nous avions déjà été confrontés à des refus mais jamais à un refoulement du territoire », explique Nadia Matmat, assistante sociale au service des maladies infectieuses du CHU de Nancy. Parmi les motifs invoqués : « L’accès à des traitements dans le pays d’origine. C’est à ce moment-là qu’avec l’accord des médecins, nous avons fait appel à Me Lévi-Cyferman. » Avocate, spécialiste du droit des étrangers, elle n’est impliquée dans la défense des étrangers que depuis peu : « C’était plutôt une pathologie qui ne posait pas de problème et les médecins des ARS ne semblaient pas faire de difficulté pour considérer que ces patients n’avaient pas un accès effectif aux soins dans leur pays d’origine. » Elle n’hésite pas à placer son combat sur le plan « idéologique, parce que du côté des réformes législatives, il y a beaucoup d’idéologie ». Grâce à son intervention, le patient de Nancy n’a pas été expulsé et a pu obtenir une prolongation de son titre de séjour jusqu’en mai 2011. « Il a de nouveau rendez-vous en avril pour refaire une demande avec la crainte une nouvelle fois d’un refus », indique Nadia Matmat.

« Sans aller jusqu’au refus, on voit apparaître des renouvellements de séjour de 1 an qui se transforment en autorisations provisoires de séjour (APS) de 6 mois. Le patient n’a alors plus le droit de travailler, plus de ressources et plus de logement. C’est la destruction de ce que nous avons mis des mois à construire avec lui », regrette Annick Debrenne, assistante sociale au CHU de Reims. De plus en plus de préfectures multiplient les APS, ce qui augmente la précarité des patients et est « contraire à la loi », précise Me Lévi-Cyferman.

La rencontre de Pont-à-Mousson aura permis le dialogue entre professionnels de la prise en charge et médecins des ARS. Les refus au droit au séjour ne sont pas toujours le fait des médecins des agences régionales, car les préfectures ne sont pas tenues de suivre l’avis des médecins. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas toujours informés du devenir des patients. « Si la préfecture ne suit pas l’avis du médecin et que le malade est charterisé, on ne le sait pas. Nous ne sommes informés que si le malade se défend », assure le Dr François Fierobe, de l’ARS de Champagne-Ardenne. Son collègue de l’ARS de Lorraine, en poste depuis le mois de janvier, explique son embarras : « J’étais généraliste de campagne pendant trente ans. Je vois les choses avec un aspect plutôt humaniste et le regard d’un médecin généraliste qui voit son patient dans son entier. Là, on nous demande de cocher des cases. C’est sûr que si on coche "Existence de traitements dans le pays d’origine", le préfet aura toute latitude pour refuser. En tant que médecin cela me pose problème. »

En Lorraine ou en Champagne-Ardenne, comme sur l’ensemble du territoire, les personnes originaires d’Afrique subsaharienne sont les plus représentées par les migrants infectés par le VIH. « L’étude de David Rey à Strasbourg sur l’observatoire des migrants du Nord-Est nouvellement pris en charge montre qu’une minorité d’entre eux viennent pour raison de santé (8 %) », souligne le Pr Christophe Strady (service de médecine interne et maladies infectieuses du CHU de Reims). Les patients souvent des gens seuls (27 %),sans logement ou vivant dans un logement précaire (45 %), sans couverture sociale (25 %) et sans ressource (67 %). « On voit bien les problèmes sociaux derrière ces diagnostics », commente l’infectiologue. D’où le rôle spécifique des assistantes sociales, même s’il n’est pas toujours reconnu, surtout en période de restriction budgétaire, où la tentation est grande d’une mutualisation des moyens.

Le comment du plan ?

La question des moyens était au menu de la deuxième table ronde. Les mesures du plan Sida annoncé par Roselyne Bachelot en novembre 2010 semblent jouir désormais d’un consensus. « Le problème aujourd’hui est celui de la mise en œuvre. Nous savons que le dépistage généralisé de toute la population de 15 à 70 ans sans facteur de risque au moins une fois est coût/efficace. Mais cela suggère que cela a un coût. Est-ce que les autorités sanitaires vont accepter de faire le pari de mettre sur la table l’argent nécessaire aujourd’hui pour obtenir cette efficacité de demain », interroge le Pr Christian Rabaud, service des maladies infectieuses et tropicales du CHU de Nancy. Avec ses deux volets, dépistage ciblé, fréquent et régulier dans les populations à risque, en particulier chez les homosexuels, et proposition de dépistage généralisé à toute la population, le dépistage vise notamment à réduire le nombre de séropositifs qui s’ignorent. « Si l’on se met à dépister tout le monde et que les 50 000 séropositifs qui s’ignorent sont pris en charge, il va falloir mettre des moyens », insiste encore le Pr Rabaud.

Pour heure « aucune réponse sur le comment » du plan n’a été avancée. Pour être efficace, le dépistage généralisé devrait concerner 75 % de la population. Le rôle des médecins généralistes est essentiel. Le Dr Sophie Siegrist, généraliste membre de l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux (URPS de Lorraine), assure que les médecins sont « prêts à prescrire le test de dépistage. Mais, après, il faut que cela devienne un réflexe. Le message doit être simple et clair mais il faut aussi le financement, la formation et la volonté de le faire comme tous les actes que ce soit pour le cancer du sein, le cancer colo-rectal ou le VIH », poursuit-elle. Toutefois, elle tient à souligner que les généralistes ont l’impression « qu’on leur demande de tout faire, de s’organiser pour tout sans avoir ni les moyens ni la formation ».

Médecins réticents.

Encore plus, quand il s’agit, comme le suggère le Pr Rabaud, d’utiliser les tests rapides de dépistage (TROD) directement au cabinet. La mesure n’est pas prévue dans le plan de lutte contre le VIH et les IST, mais possible dans certaines situations en vertu de l’arrêté du 9 novembre 2010. « Aujourd’hui, il faut faire preuve d’inventivité dans le dépistage et aller au-delà », insiste le Pr Rabaud. Les généralistes semblent réticents. « J’ai eu pendant longtemps des patients séropositifs. Depuis cinq ans, je n’en ai aucun. Pourtant je fais beaucoup de gynécologie avec des patients avec des patients aux choix de vie variés. Il faut mieux développer une information sur les centres de référence plutôt que de former des professionnels qui en cinq ans ne vont voir qu’un patient », explique le Dr Siegrist. Aujourd’hui, le dispositif parait lourd, avec « l’obligation d’un système d’assurance qualité, la vérification initiale des habilitations et évaluation régulière ». Les associations, elles, sont en ordre de marche, même si, prévient Jean-Philippe Julo, d’AIDES, « l’objectif n’est pas de mettre en place des brigades sanitaires dans tous les lieux de rencontre sexuelle gays, avec d’un côté les volontaires avec leur TROD et de l’autre les médecins avec les traitements post-exposition. L’idée est d’utiliser un outil supplémentaire qui permet de compléter une démarche et des actions qui existent déjà ».

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE
En complément

Source : Le Quotidien du Médecin: 8934