Les preuves scientifiques disponibles ne permettent pas de classer le glyphosate, un herbicide controversé utilisé massivement à travers le monde, comme cancérogène, a estimé ce 30 mai l'Agence européenne des produits chimiques (Echa), une position qui ouvre la voie à sa réautorisation. Et qui creuse le dissensus avec le classement de l'herbicide en « cancérogène probable pour les humains » édité en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
« Le Comité d'évaluation des risques de l'Echa a formé son opinion scientifique indépendante : le classement actuel du glyphosate ne change pas » par rapport au précédent examen de 2017, a déclaré à l'AFP le directeur de l'évaluation des risques de l'Echa, Mark Rasenberg. Le glyphosate est classé actuellement par l'Echa comme pouvant provoquer des lésions aux yeux et étant durablement toxique pour les milieux aquatiques.
Une autorisation qui devrait être prolongée en 2022
Cette évaluation de l'Echa était indispensable à la Commission européenne pour décider de la prolongation (pour 15 ans !) ou non de l'autorisation délivrée à l'herbicide dans l'Union européenne (UE), qui expire le 15 décembre 2022. Cette autorisation sera automatiquement prolongée jusqu'à la fin du processus d'évaluation, à moins qu'un risque particulier ne soit identifié entretemps. En reconnaissant seulement une toxicité pour les yeux et les milieux aquatiques et en aucun cas un rôle cancérogène (pas plus que mutagène ou reprotoxique), l'Echa permet donc cette prolongation automatique de l'autorisation.
Le processus d'évaluation, quant à lui, s'étire dans le temps. L'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a en effet reporté à juillet 2023 ses conclusions sur « tous les risques possibles de l'exposition au glyphosate pour les animaux, les humains et l'environnement », alors que ce rapport était initialement attendu au second semestre 2022. Le Groupe d'évaluation du glyphosate, composé de quatre États membres rapporteurs (France, Hongrie, Pays-Bas et Suède), doit rendre d'ici à fin septembre à l'EFSA un avis actualisé, avant une série de consultations et les conclusions du régulateur. Un report « profondément préoccupant », selon la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides, même s'il est justifié par le grand nombre de critiques reçues par l'EFSA sur le rapport d’expertise préliminaire, de la part de la société civile et des États membres.
Dissensus scientifique, les ONG en colère
Plusieurs ONG environnementales, comme Générations futures et la coalition Ban Glyphosate ou encore l'Alliance pour la santé et l’environnement (Health and Environment Alliance, HEAL) et le European Environmental Bureau (EEB), s'élèvent contre les conclusions de l'Echa, à l'opposé du classement du CIRC de l'OMS comme « cancérogène probable ». Et plus récemment de l'expertise de l'Inserm publiée en 2021 qui conclut à l’existence d’un risque accru de lymphome non hodgkinien avec un niveau de présomption « moyenne » de lien avec l’exposition professionnelle.
« Pour parvenir à sa conclusion, l'Echa a dû rejeter (ou ignorer) un grand nombre de preuves à l'appui provenant de publications révisées par des pairs nouvelles et déjà existantes. L'Echa s'est appuyée unilatéralement sur les études de l'industrie. Ceci en dépit du fait que seules deux des 35 études de l'industrie examinées peuvent être considérées comme "fiables", selon l'Institut de recherche sur le cancer de Vienne », accuse Peter Clausing, toxicologue, membre de la coalition Ban Glyphosate, présent lors des réunions du comité d’évaluation des risques de l'Echa.
« L'échec de l'Echa à reconnaître le potentiel carcinogène du glyphosate est une erreur et un pas en arrière dans la lutte contre le cancer », insiste la Dr Angeliki Lyssimachou, responsable scientifique à HEAL.
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