Loi sur la prostitution : un rapport dénonce le manque de moyens et l’absence de volonté politique

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Publié le 24/06/2020

Crédit photo : Phanie

Si la loi sur la prostitution de 2016 a « réaffirmé l’engagement abolitionniste de la France, elle n’a pas déployé suffisamment de moyens pour atteindre cet objectif », jugent les auteurs d’un rapport commun à trois inspections générales (Affaires sociales, Justice et Administration). Quatre ans après l'adoption de ce texte, le document de 238 pages, achevé en décembre 2019, mais rendu public le 22 juin 2020, dresse un bilan contrasté de sa mise en œuvre.

Cette loi a mis fin au délit de racolage, a instauré la pénalisation des clients et a créé un parcours de sortie de la prostitution. Mais, « la mise en œuvre de la loi a été considérablement freinée par une absence de portage politique et d’engagement volontariste des pouvoirs publics », étrillent les auteurs, insistant sur le « manque de pilotage national ».

Une invisibilisation de la prostitution

Comme le craignaient certaines associations, dont Médecins du Monde, la pénalisation des clients (1 900 clients sanctionnés en 2019, dont la moitié à Paris) a contribué à rendre la prostitution moins visible. En recul, la prostitution de rue s’est « parfois déportée sur des zones périphériques, tandis que la prostitution en intérieur a augmenté », observent les auteurs. Associé au développement d’Internet comme outil de mise en contact, ce phénomène fragilise les personnes prostituées qui se retrouvent plus isolées, plus exposées aux agressions et aux demandes de relation non protégée.

Les personnes prostituées ont peu sollicité le dispositif de sortie de la prostitution, qui propose un accompagnement social par une association et une aide financière de 330 euros mensuels à la condition de stopper complètement l’activité de prostitution. Seules 230 personnes bénéficiaient de ce parcours en juin 2019. Le rapport souligne une « hétérogénéité des pratiques sur le territoire », notamment en matière d’admission dans les parcours de sortie de la prostitution, conditionnée dans certains départements à la détention d'un titre de séjour.

L’accès aux droits « demeure perfectible », notamment concernant l’accès au logement ou aux soins. Les auteurs proposent un renforcement des moyens des associations, dont les ressources n’ont pas été revalorisées « à la hauteur du travail fourni dans la mise en œuvre des parcours ni dans la conduite des actions de réduction des risques prévues par la loi ».

Une organisation du proxénétisme « mobile, transnationale et opacifiée »

Concernant la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, si le nombre d’enquêtes pénales a augmenté de « 54 % en quatre ans » pour atteindre 944 enquêtes en 2018, les moyens des services d’enquête ne sont « pas à la hauteur du phénomène », dénoncent les auteurs.

Ils pointent une organisation du proxénétisme « de plus en plus mobile, transnationale et opacifiée par l’utilisation d’internet, des réseaux sociaux et de moyens de communication cryptés » : « l'importance croissante prise par Internet dans le phénomène prostitutionnel justifierait, à elle seule, de renforcer les moyens affectés aux services d'enquête en matière de cyberproxénétisme », jugent-ils.

Le rapport aborde également la question de la prostitution des mineurs, qui n’est « pas abordée en tant que telle par la loi », est-il souligné, alors que la situation est « préoccupante, car elle semble connaître un essor important ». Selon les auteurs, il est « nécessaire d’agir » avec de la prévention, une meilleure détection et une prise en charge des situations à risque.

Malgré ce bilan mitigé, le Haut Conseil à l’égalité (HCE) se « félicite des conclusions de l’évaluation » et de « la montée en charge des dispositifs prévus par la loi, à la fois dans son volet d’accompagnement des personnes en situation de prostitution et dans son volet répressif ». Grégoire Théry, Secrétaire général du Mouvement du Nid, salue également ce rapport, y voyant une « piqûre de rappel » salutaire, « pour dire qu'une loi de cette ampleur » a peut-être besoin d'un « délégué interministériel à la mise en œuvre de ce texte, ou à la prostitution ».


Source : lequotidiendumedecin.fr