Claire Oppert, violoncelliste et art-thérapeute, soulage la douleur et l’anxiété des autistes, des déments, des malades douloureux, des personnes en fin de vie. Elle a écrit un livre riche et imagé « Le pansement Schubert »* où elle évoque son expérience de « soignante ». Elle travaille notamment à l’hôpital Rives de Seine, à Puteaux, et à l’hôpital Sainte-Périne, à Paris.
Selon vous, pourquoi le violoncelle est-il un instrument propice à soulager les patients ?
C’est l’instrument qui se rapproche le plus de la voix humaine et c’est cela qui m’a touchée lorsque je l’ai entendu la première fois. Tous les instruments peuvent apporter quelque chose, et ce qui me semble important c’est la façon d’aborder la musique. Je m’adapte beaucoup notamment au niveau du volume, je peux jouer très fort ou très doucement. Avant d’aller à la rencontre d’un patient en soins palliatifs, je demande des informations auprès de l’équipe soignante sur le malade. Sa pathologie, son origine, ses goûts. Je ne suis pas une animatrice, je ne viens pas seulement faire un concert à l’hôpital. C’est une posture particulière à visée thérapeutique.
Vous faites de la recherche en participant à des études cliniques. En quoi cela consiste-t-il ?
Je suis très engagée en tant qu'art-thérapeute et chercheuse. Bien évidemment, je ne guéris pas les cancers ni les douleurs rebelles mais je travaille avec des gens qui ont déjà des doses de morphine bien adaptées permettant à Schubert d’agir. Il existe des diminutions radicales de la douleur.
C’est un complément qui s’adresse à ce qui est en dehors de la pathologie, à la partie saine. Notamment pour les personnes ayant une démence, Alzheimer ou autre. La musique n’a pas besoin de mots car elle fait naître des sensations qu’aucun langage ne peut atteindre.
Je joue aussi pour des personnes dans le coma. Cela fait l’objet d’une des études que je suis en train de mener pour les familles à Puteaux : le souffle des patients est fortement modifié.
Dans votre livre, le mot vibration revient très souvent dans les paroles de 450 patients !
Certaines personnes demandent à mettre la main sur le bois de l’instrument pour le sentir encore plus vibrer. Tous les grands autistes ont touché mon violoncelle et en absorbaient la vibration. C’est très sensoriel.
Quatre mots sont prononcés en effet très souvent : vibration, cœur, joie et vie. Vibration oui, car le violoncelle pénètre le corps avant d'arriver à la tête. On le ressent plus qu'on ne le comprend dans un premier temps. Cœur, les patients le montrent avec un mouvement qui va du bas vers le haut en s'arrêtant à la poitrine. Le mot joie revient aussi souvent. La musique n'enlève pas le tragique, mais elle fait naître une joie résiduelle réelle. C'est quelquefois difficile à saisir en soins palliatifs selon le regard que l'on pose, mais avant d'être un malade, le patient est avant tout une personne, la musique en témoigne. Quatrième mot : vie. Des gens en fin de vie me disent : « Je ne savais pas que c’était si vivant, là je sens la vie et cela me donne envie de vivre. » C’est très fréquent que les personnes rejoignent une partie d’eux-mêmes, vraie et lumineuse.
La musique agit-elle de la même façon selon le type de maladie ?
Ce sont d'abord les personnes qui sont plus ou moins réceptives à la musique. Et cela n'a rien à voir avec le fait d'en avoir fait ou pas, ou de la connaître. Ce n'est pas lié non plus à la pathologie car des expériences similaires sont menées auprès d'anorexiques, en psychiatrie ou dans les milieux carcéraux. On ne sait pas toujours ce que ressentent les personnes, mais en tout cas, cela ne dégrade pas leur état.
C'était la grande question d'Howard Buten : que ressentent ces autistes ? Comment appréhender leur ressenti puisque l'on n'est pas soi-même autiste ? Un jour, l'un d'eux a cassé mon violoncelle, alors que je fabriquais toutes sortes de sons. Je tapais le violoncelle avec la baguette, je créais des crissements, des hurlements avec l'instrument. On peut partir de sons parfois peu agréables pour faire un travail thérapeutique amenant vers quelque chose de plus apaisé.
Pourquoi Schubert tout particulièrement ?
Une première rencontre en 2012 a été très frappante : la douleur de Madame Kessler a diminué radicalement lors d’un pansement. Cela a inspiré et donné son nom à l’étude clinique « Le pansement Schubert » : 112 soins douloureux sur des patients en fin de vie. Schubert a réalisé plus de 600 leaders et a toujours mêlé la parole à la musique avec de la mélancolie. Sa recherche très humaine englobe de l’errance, un récit de vie, la quête d’un ailleurs supposé meilleur et l’obsession de la mort. Il a cette capacité de diminuer la douleur mais c’est vrai aussi pour Bach, Beethoven, Mozart et toute la musique sans exception.
Quels signes physiques constatez-vous ?
Il est rare qu’il ne se passe rien, on l’observe au niveau de la relaxation musculaire, du pli du front, de la respiration… Ceci à cause de la part de suggestion positive qui augmente les chances de réussite. Ceux qui font le pansement Schubert y croient à fond et chantent avec le patient. C’est le moteur du soin, même si certains malades refusent. Cela peut être un mécanisme de défense, ceux qui ont refusé au départ le plus fortement sont souvent ceux qui réagissent le plus. Parfois, les larmes coulent, la plupart du temps c’est cathartique. Il faut traverser cette tempête pour qu’à un moment donné l’apaisement surgisse.
Si je me sens moi-même un peu triste ou soucieuse, ce partage, qui va vers un mieux-être de la personne malade, m'aide à me sentir mieux. C'est une gratification. Au terme d'une grande journée, j'ai reçu plein de lumière et de paroles, cela remet du sens. Même si les mots sont les mêmes dans la bouche des patients, je ne ressens pour l'instant aucune routine, aucune lassitude. J'ai l'impression que c'est toujours nouveau.
*Aux éditions Denoël
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