LE QUOTIDIEN – Pour lutter contre la désertification médicale, vous militez en faveur d’un exercice pluridisciplinaire et envisagez de redéfinir les droits et les devoirs des médecins libéraux en matière d’installation. Sous quelle forme ?
EVA JOLY – Les centres de santé pluridisciplinaires, où nous voulons que soit créé un poste consacré à la prévention, sont des outils pertinents pour lutter contre les dépassements d’honoraires et les déserts médicaux. En favorisant la collaboration, nous améliorerons la qualité des soins tout en proposant aux professionnels de santé de meilleures conditions de travail que celles qu’ils ont en statut libéral. Pour cela, il faut inventer une autre rémunération que le paiement à la consultation, sous forme de forfait ou de salariat. Cette politique doit favoriser les professionnels qui souhaitent s’installer dans les zones défavorisées. Enfin, la pratique des dépassements d’honoraires, inadmissibles pour certains professionnels, doit être sévèrement encadrée.
Vous souhaitez placer la prévention et la santé environnementale au cœur de notre système de santé. Les futurs médecins doivent-ils eux aussi y être formés ?
L’explosion des maladies chroniques est un indicateur de l’épuisement de notre modèle productiviste. Il faut considérer la santé comme un ensemble complexe, lié à de multiples facteurs environnementaux. Proposer par exemple du bio dans les lieux de restauration collective comme les cantines scolaires, voilà une mesure concrète pour améliorer notre santé… et faire des économies ! Par exemple, le diabète touche plus de trois millions de personnes aujourd’hui, et le nombre de malades augmente de 200 000 par an. Cela « coûte » à l’assurance-maladie 13 milliards d’euros tous les ans, soit plus que le déficit actuel. Agir sur l’alimentation, c’est-à-dire sur l’une des principales causes du diabète, permettrait de mieux vivre et d’économiser de l’argent qui pourrait être utilisé ailleurs. Quand nous demandons moins de voitures en ville, c’est aussi pour lutter contre la pollution de l’air qui nous fait perdre six mois d’espérance de vie. Cette vision appelle un nouveau modèle de santé publique, non plus centré sur le curatif comme aujourd’hui, mais sur le préventif. Il faut donc changer la manière de former les professionnels de santé, trop orientée sur les actes techniques et la dispensation de médicaments, et insuffisamment sur la relation humaine et la compréhension des interactions complexes entre le cadre de vie et la santé. Enfin, nous formons trop de spécialistes et pas assez de généralistes. Nous voulons inverser cette tendance.
Vous évoquez souvent le renoncement aux soins des personnes au chômage, des étudiants, des précaires… Que faire pour que les Français redonnent la priorité à la santé ?
Cessez de les culpabiliser lorsqu’ils sont malades serait déjà un premier pas. Mais plus que cela, je crois que la santé est un sujet éminemment politique et qu’elle peut (et doit !) faire l’objet d’une réappropriation citoyenne. Nous sommes favorables à plus de régionalisation et à la mise en œuvre d’une véritable démocratie sanitaire au sein de laquelle les usagers auraient toute leur place. Nous voulons mettre en place des conférences régionales de santé, avec des représentants de la société civile, qui pourraient vraiment participer aux orientations des politiques de santé locales.
Vous vous interrogez sur le maintien de la clause de conscience des médecins, spécialement celle des gynécologues-obstétriciens qui peuvent refuser de pratiquer une IVG. Revenir sur cette disposition, n’est-ce pas réduire la liberté d’opinion des professionnels de santé ?
La clause de conscience relève d’une décision personnelle de certains médecins, mais les patientes ont des droits. Il appartient aux agences régionales de santé de faire appliquer la loi et l’obligation de soin. L’IVG est un droit essentiel pour les femmes et il est inadmissible que certains professionnels utilisent la clause de conscience pour refuser de la pratiquer alors que seules des raisons financières expliquent ce refus. Plus largement, ces comportements posent la question du sous financement de l’IVG et de la contraception. Je suis très inquiète de voir les conditions d’accueil des femmes se dégrader et le droit à l’avortement reculer. Je veux mieux financer l’accueil et la prise en charge dans ce domaine, développer l’information à la contraception, aujourd’hui insuffisante et, du même coup, renforcer et mieux organiser les structures engagées dans la santé des jeunes.
Vous souhaitez supprimer les franchises médicales et augmenter le niveau de remboursement du régime obligatoire. Quelle place accordez-vous aux complémentaires dans votre vision du système de santé ?
Aujourd’hui, l’assurance-maladie ne prend en charge que la moitié des frais liés à ce type de soins. Sans mutuelle ou assurance complémentaire, si vous n’en avez pas les moyens, vous vous dirigez vers l’hôpital, déjà surchargé et coûteux pour la collectivité. Au contraire de cette logique, nous voulons que les soins courants soient mieux remboursés par l’assurance-maladie. Nous voulons des soins gratuits et universels. Mais pas n’importe lesquels ! Ceux qui sont réellement utiles pour les usagers. Trop de médicaments sans intérêt thérapeutique sont remboursés, trop d’examens complémentaires sont pris en charge sans raisons médicales ! Cessons le gaspillage, recentrons-nous sur les soins utiles, et nous pourrons mieux les prendre en charge. Enfin, nous sommes favorables à tous les mécanismes qui permettent l’accès à une mutuelle. La fusion de l’AME et de la CMU me semble à ce titre un minimum, tout comme la suppression de la taxe sur les contrats responsables ou encore les aides à la souscription de contrats de mutuelle.
À plusieurs reprises, vous avez dénoncé le prix élevé des médicaments. Vous appelez à plus de transparence. Quelles mesures concrètes proposez-vous ?
À tous les niveaux de la chaîne de décisions, les laboratoires interviennent. Résultats : les médicaments sont remboursés sans qu’ils aient forcément un intérêt thérapeutique, nous payons très cher la nouveauté et nous en consommons trop. Nous voulons construire un mur étanche entre les intérêts des industriels et ceux de la société avec, entre autres, l’interdiction des visiteurs médicaux payés par les industriels, l’évaluation des nouveautés en fonction des produits déjà existants sur le marché ou encore le financement de la recherche pour une expertise indépendante.
« Trop de médicaments sans intérêt thérapeutique sont remboursés, trop d’examens complémentaires sont pris en charge sans raisons médicales ! »
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