LA TABLE est le lieu où l’identité nationale se révèle, s’exprime et se transforme. Cette identité alimentaire qui prend en compte les grands mouvements historiques intègre les singularités des diverses communautés, classes sociales ou régions, tout en conservant un certain nombre de traits fondamentaux. C’est la thèse développée par l’historien Pascal Ory, dans son ouvrage intitulé « L’identité passe à table... »*.
Car comme l’auteur le souligne, un lien étroit unit les pratiques alimentaires à la question de l’identité collective. C’est, d’ailleurs, ce que l’Unesco a souhaité mettre en lumière en inscrivant le repas gastronomique des Français sur la liste du « patrimoine culturel immatériel » de l’humanité. « Pour l’Unesco, le repas gastronomique des Français est une pratique anthropologique et non une pratique commerciale », rappelle Pascal Ory.
Le poids du religieux.
Dans son ouvrage, Pascal Ory insiste notamment sur la manière dont la religion influence les comportements alimentaires français à travers l’histoire. La pratique religieuse imprègne les rapports sociaux et choix alimentaires de façon durable. Le catholicisme fait de la France une société hédoniste adoptant des pratiques alimentaires distinctes des sociétés puritaines (américaines, notamment). Un point de vue partagé par le sociologue Claude Fischler, auteur de « Manger mode d’emploi? »**, qui distingue également les comportements alimentaires français et américains : « le repas français est une communion ayant pour fondement le modèle eucharistique. Nos enquêtes montrent, en effet, qu’une bonne partie de nos compatriotes sont prêts à se forcer à manger des aliments qu’ils n’apprécient pas lorsqu’ils sont invités chez des amis, par exemple. Car se distinguer - afficher ses particularités alimentaires - c’est s’extraire de la communion ; s’excommunier, en quelque sorte. À l’inverse, les Américains n’éprouvent aucune gêne à prévenir leur hôte de leurs pratiques et goûts alimentaires. Car le repas américain est une sorte de contrat : les individus négocient et se mettent d’accord - à l’avance - sur la composition du repas. L’objectif étant de passer un bon (mais pas trop long) moment ensemble, à table ».
Mythes et politique.
Autre idée développée par l’historien Pascal Ory dans son ouvrage : la construction de l’identité alimentaire de la France - et d’un certains nombre d’autres pays - génère des mythes et des discours préfabriqués qui marchent. « Cette construction est parfois très récente. La cuisine régionale est, par exemple, une invention du régionalisme. La France a - par ailleurs - inventé la notion de terroir : le fait que ce qui est produit dans une petite circonscription génère un certain type de production. Ce genre de discours produit des effets concrets - désormais exportables - tels que les AOC (Appellation d’origine contrôlée), par exemple », indique Pascal Ory. L’histoire politique influence également l’identité alimentaire de chaque pays. Pour simplifier, il existerait deux types de sociétés politiques de la cuisine. « Celles qui ont une profonde expérience d’une centralité curiale (société de cour) comme la France, la Chine, le Japon et l’Inde ont généré une sophistication culinaire qui se retrouve au niveau des classes populaires. Quant aux sociétés qui n’ont pas vraiment vécu ce type d’expérience, elles ont généralement adopté les pratiques aristocratiques des autres. C’est, par exemple, le cas de la société russe qui emprunte un certain nombre de pratiques culinaires à la France », assure Pascale Ory.
Apaiser le rapport à l’alimentation.
Aujourd’hui, le citoyen français - comme celui des autres pays occidentaux - se trouve, par ailleurs, dans une société d’abondance et de variété alimentaires. Il doit sans cesse faire des choix, exercer son libre arbitre pour « bien manger », de façon équilibrée tout en intégrant une notion de convivialité au moment des repas. « L’amour de la commensalité conviviale est une caractéristique très française. Passer à table est aussi une façon de se soulager, de ne pas s’affronter à l’anxiété de l’individualisation du rapport à l’alimentation », estime Claude Fischler. Autrement dit, le fait de s’attabler est resté un rituel auquel les Français sont attachés. Ce rituel alimentaire collectif épargne à chacun la mise à l’épreuve de la seule volonté individuelle qui est au centre des obsessions des Américains. Le « snacking » (grignotage) - chacun consomme seul, ce qu’il souhaite - étant le comportement caractéristique de cette obsession.
Face à l’abondance des choix, des pratiques alimentaires, des conseils, mises en gardes et allégations, les Français ne sauraient plus très bien ce qu’ils doivent ou peuvent manger. L’origine des aliments et les éventuels traitements chimiques que ceux-ci ont subi sont au cœur de leurs interrogations. « Devant la perte de repères, la remise en cause des institutions (politiques, scientifiques...) et l’incertitude sur les choix alimentaires, chacun opte pour sa propre tribu gastronomique en suivant tel régime ou dogme alimentaire plutôt que tel autre », note Pascal Ory. Une façon de retrouver une autorité pour apaiser son rapport à l’alimentation.
* L’identité passe à table..., de Pascal Ory, éd. PUF/ Fondation Nestlé France, 133 pages, 15 euros.
**Manger mode d’emploi, de Claude Fischler, éd/ PUF/ Fondation Nestlé France, 112 pages, 15 euros.
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