Personnes précaires : des stratégies alimentaires bien spécifiques

Publié le 20/06/2012
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Crédit photo : BSIP

Les effets du revenu sur la consommation alimentaire des personnes défavorisées sont bien connus. Ces dernières achètent des produits peu variés et peu de produits frais. Et se retrouvent parfois dans les logiques de restriction alimentaire. « Plus la personne s’appauvrit, plus elle s’isole, moins elle prend plaisir à manger. Un certain désintérêt pour la nourriture peut alors s’installer. D’où l’apparition de déséquilibres et de carences alimentaires dans certains cas », souligne Anne Dupuy, université de Toulouse II, chercheur associé au Centre d’Étude et de Recherche Travail, Organisation, Pouvoir (CERTOP) et auteur d’études sur les personnes en situation de pauvreté et de grande précarité disposant d’aides alimentaires*.

Dans une enquête récente -réalisée sur 6 mois auprès de 28 personnes disposant d’aides alimentaires- Anne Dupuy s’est intéressée à la manière dont ces dernières rendaient compte de leur expérience vécue de la pauvreté ou de la précarité. La majorité étant des femmes de 25 à 45 ans, avec deux ou trois enfants, souvent sans emploi, divorcées ou séparées. Toutes fréquentant des épiceries sociales et solidaires à Toulouse. « Pour mieux comprendre les différentes stratégies alimentaires adoptées, il faut distinguer les personnes en "pauvreté installée" de celles qui rentrent nouvellement dans la pauvreté à la suite d’un basculement soudain qui les fragilise (perte d’emploi, divorce…). », précise-t-elle.

Des dépenses hiérarchisées.

Dans les canaux d’approvisionnement autres que les épiceries sociales, les discounters viennent en tête. « Pour les personnes nouvellement entrées dans la pauvreté, les discounters permettent d’éviter les tentations d’achats de produits chers ou de marque qu’elles pouvaient avoir l’habitude de consommer par le passé. Tandis que les personnes établies en "pauvreté installée", sont indifférentes aux marques. Les familles vivant dans la précarité multiplient les canaux de distribution (discounters, hypermarchés, marchés…) comparant au centime près et sachant où trouver les produits les moins chers », confie Anne Dupuy. Les gros formats et les denrées aux fonctions rassasiantes (pâtes, riz…) sont privilégiés. « Grâce à leurs tickets restaurants, les travailleurs pauvres arrivent à s’acheter de la viande. Parfois, ils en achètent aussi en gros, dans les boucheries hallal, par exemple. Ils fréquentent aussi beaucoup les supermarchés proposant des produits bradés dont la date limite de consommation approche », note Anne Dupuy. Les stratégies d’économie sont multiples : adaptation des recettes (substitution d’un ingrédient par un autre, moins cher), priorité au "fait maison", achat d’un congélateur -si possible- pour stocker à l’avance et anticiper les périodes où il n’y a pas d’aide alimentaire…

La majorité des personnes interrogées hiérarchisent leurs dépenses de la même manière : le loyer est la priorité, puis, viennent les charges et autres factures. L’alimentation arrive en troisième position des dépenses juste avant les soins. Autre priorité : les enfants. Pour les protéger, les mères de familles en situation de précarité recourent souvent à des stratégies masquant leurs problèmes économiques. « Souvent, les parents ne dînent pas en même temps que leurs enfants. Ces derniers mangent d’abord, ce qui permet aux parents de ne pas montrer qu’ils sautent le repas du soir. Ou qu’ils consomment d’autres aliments, moins chers que ceux donnés aux enfants », conclut Anne Dupuy.

*Dupuy A, 2011. Précarité et alimentation, résultats de l’enquête qualitativé. Rapport de recherche CNRS-CERTOP-UMR 5044, 71 pages.

Dupuy A, 2011. Précarité et alimentation, revue de littérature en sciences humaines et sociales. Rapport de recherche CRNS-CERTOP –UMR 5044, 96 pages.

Hélia Hakimi Prévot
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Source : Nutrition