Jean-Louis Etienne va explorer le courant circumpolaire antarctique à bord de Polar Pod, un vaisseau vertical de 102 m de haut, mu par des éoliennes à travers les cinquantièmes hurlants. En passant au scanner la cryosphère, il veut affiner le pronostic des modèles climatiques.
Cinquante ans après la découverte de son ami Claude Lorius (voir encadré), trente ans après avoir été le premier à atteindre le Pôle Nord en solitaire, « Papy Pôle » (surnom que lui vaut sa calvitie précoce) va repartir. Son nouveau projet n’est pas moins fou que les précédents : passer au scanner l’acteur majeur du climat qu’est l’océan Austral, d’ouest en est, autour de l’Antarctique, en embarquant six mois à bord d’une nacelle située à 19 mètres au-dessus des eaux glacées, stabilisée par un tirant d’eau de 80 mètres pour ne pas perturber la surface de la mer et propulsée en silence par 4 éoliennes de 3,2 kW.
« Le courant circumpolaire impacte fortement le bilan thermique de la planète : le CO2 se dissout beaucoup plus facilement dans les eaux froides que dans les eaux chaudes, si bien que la capacité d’absorption du carbone dans l’océan Austral est déterminante pour apprécier l’avenir de la planète. Or, ce gigantesque puits de carbone reste mal connu du fait de son isolement, explique Jean-Louis Etienne. Les données recueillies par satellites sont insuffisantes, seules les mesures effectuées in situ sous les cinquantièmes hurlants vont pouvoir nous fournir des informations sur les échanges exacts de CO2 entre l’air et l’océan. Grâce aux capteurs de Polar Pod, les modèles du GIEC pourront être affinés, ainsi que le pronostic sur le réchauffement. » L’intérêt scientifique du projet lui a déjà rallié le soutien du CNRS, du CNES, du CEA, de l’IFREMER et même de la NASA. Leurs équipes suivent en direct la mise au point du cylindre géant, à Lorient, où une douzaine d’ingénieurs ont mis cet automne le prototype en chantier.
600 km de glace désintégrés
« Le diagnostic du dérèglement climatique a été clairement posé par la fonte des calottes glaciaires, rappelle le dernier rapport du GIEC : au cours des deux dernières décennies, la perte de glace du Groenland et de l’Antarctique a très probablement fortement augmenté. » « J’ai pu constater par moi-même l’an dernier, confirme Jean-Louis Etienne, que les 600 premiers km de glace du Larsen, au nord-ouest de l’Antarctique, sur lesquels j’avais progressé lors de l’expédition Transarctica, en 1989, ont aujourd’hui fondu. Désintégrés ! Au Pôle Nord, la Banquise avait en 1986 une épaisseur d’1,80 m, elle est aujourd’hui d’1,20 m. Les crêtes de compression produites par la tectonique des plaques, qui élève des murailles de glace sur la Banquise, semblent comme abrasées par rapport à celles que j’avais dû franchir il y a 30 ans. Le réchauffement moyen de la planète, mesuré de 0,8 degré en un siècle, est imperceptible, mais vu des pôles, il est concret et spectaculaire. »
Crises d’asthme et overdoses carboniques.
Jean-Louis Etienne, qui a toujours monté ses expéditions sous sa double expertise de médecin et d’explorateur, demeure attaché à un vocabulaire médical, qu’il applique à la patiente Terre, victime de l’activité humaine désordonnée : « Disons que nous mesurons actuellement un fébricule de la malade, quelque chose de l’ordre de 37,8 ou 38. Ca ne semble peut-être pas encore dramatique, mais c’est déjà préoccupant. Il faut craindre en effet des complications qui se manifestent sous forme de crises d’asthme, localement : voyez chez nous les pluies cévenoles qui virent en inondations, voyez les cyclones, plus nombreux et plus violents dans les régions tropicales. Ce sont les premiers symptômes d’une overdose carbonique. On va entrer ensuite dans des tableaux de pathologies chroniques. C’est exactement comme si les globules rouges ne pouvaient plus faire leur travail de régénérescence de l’organisme Terre et que tout le système atmosphérique allait amorcer une dégénérescence progressive. Le processus est enclenché avec un coupable invisible et omniprésent, le carbone. Nous sommes la civilisation du CO2. 100 % des activités sont dépendantes des transports qui sont à 95 % liées au pétrole. »
Vu des pôles encore, des facteurs aggravants se profilent : « la fonte des glaces pourrait finir par libérer des milliards de tonnes de méthane, prévient Jean-Louis Etienne, un gaz vingt fois plus producteur que le CO2 en effet de serre. »
« Il faut donc décarboner avec un traitement de choc, pour permettre à la terre de respirer, alerte Papy Pôle. J’essaye de faire passer ce message sans jouer les prophètes de l’Apocalypse, avec simplicité. Et avec enthousiasme aussi : il nous reste 30 ans pour créer un monde soutenable. C’est une situation excitante. » Et si la grand’messe de la COP 21 échouait à prendre des engagements contraignants ? « Il y aura au moins un signal positif qui sera envoyé à tous les citoyens de la terre-patrie. À chacun de résister à la tentation de l’abandon. »
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