L’INVS est régulièrement sollicitée pour mettre en place des dispositifs de veille et d’alerte autour des grands rassemblements de population, Armada de Rouen, coupes du monde de football ou de rugby et autres voyages pontificaux. Les foules représentent des facteurs de risques que les investigations épidémiologiques ont l’habitude d’identifier avec précision. Mais dans le cas de l’afflux de population redouté autour du Pic de Bugarach (Aude), à l’occasion du 21 décembre, et de la supposée fin du monde annoncée par les calendriers mayas, les spécialistes font face à l’inconnu. L’ARS (Agence régionale de santé) et la CIRE de Montpellier, ont été saisies par le préfet Éric Freysselinard, lors d’une réunion le 15 novembre « Jusqu’à présent, les évaluations qui nous ont été demandées ont toujours concerné des environnements urbains, où nous pouvons nous appuyer sur des outils comme SOS médecins, ou le SAMU, note Amandine Cochet, épidémiologiste et ingénieur en santé (CIRE de Montpellier). Ici, le milieu rural des Corbières est dépourvu de tels relais d’information. » De surcroît, l’estimation du nombre des aventuriers de l’arche de Bugarach accourus pour échapper au naufrage des continents restera jusqu’au dernier moment incertaine. Tout au plus a-t-on dénombré 1,5 million de références sur le moteur de recherche Google.
Syndromes collectifs inexpliqués.
Qu’à cela ne tienne, la CIRE va mener l’enquête à partir des données collectées en direct par le PMA (poste médical avancé) installé sur place, sous la direction du Dr Axel Wiegandt, responsable de la CRDS (cellule régionale défense et sécurité) de l’ARS (« Le Quotidien » du 26 novembre). « L’objectif, précise l’épidémiologiste de la CIRE, est de détecter tout phénomène nécessitant l’adoption de mesures prophylactiques immédiates : syndromes méningés, cas groupés de gastro-entérites, TIAC (toxi-infections alimentaires collectives), syndromes respiratoires, suspicions d’intoxication au monoxyde de carbone, usages de produits psychotropes, sans oublier les syndromes collectifs inexpliqués (SCI). »
Selon le guide publié en 2010 par l’InVS, « ces phénomènes de SCI ne trouvent pas d’explication fondée sur un mécanisme simple d’interaction entre l’environnement physicochimique et les processus biologiques ». Ils suscitent divers types d’épidémies : neurologiques (malaises, céphalées), dermatologiques (prurit, éruptions cutanées), symptômes ORL (irritations, inflammations) ou digestifs (douleurs abdominales, nausées). « En général, souligne Amandine Cochet, ces syndromes surviennent en milieu clos avec un facteur de déclenchement réel, comme une odeur particulière. En l’occurrence, ce sont les phénomènes d’ordre psychogène qui seront spécialement surveillés, en lien avec la CMP (cellules médico-psychologiques) qui sera intégrée au PMA. » Des hallucinations collectives, avec des passages à l’acte « en cascade » font partie des tableaux éventuels.
Courrier aux généralistes.
L’ARS devrait adresser dans les tout prochains jours un courrier aux généralistes installés dans un rayon d’une quinzaine de km autour de Bugarach, soit une vingtaine de praticiens. Leur attention sera attirée sur la nécessité de transmettre sans délai à la CRDS tout signalement de MDO (maladie à déclaration obligatoire) et d’événements sanitaires et médicaux inhabituels.
« Mais il n’est pas question de monter sur cette affaire une usine à gaz, prévient la responsable de la CIRE, avec un lourd dispositif de veille. Tout au plus les moyens de la CIRE de Montpellier seront-ils mutualisés avec ceux de la CIRE Sud de Marseille, et un spécialiste sera d’astreinte pendant la période la plus chargée. » Si l’épidémiologie de l’Apocalypse ne cède pas au catastrophisme, Bugarach devrait être pendant quelques jours le village français doté de la meilleure veille sanitaire.
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