La réforme de la garde à vue

Rétablir le droit

Publié le 20/01/2011
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Crédit photo : S. toubon/« le quotidien »

L’OPINION A ÉTÉ scandalisée quand elle a appris, il y a quelques mois, que la police procédait chaque année à plus de 800 000 gardes à vue, dont un bon nombre pour une conduite automobile non conforme au Code de la route. Et que, aussitôt, ont surgi d’épouvantables anecdotes sur le sort réservé, fût-ce brièvement, aux gardés à vue. Dans un entretien, mardi, avec « Le Figaro », Michel Mercier déclare qu’il faut diminuer le nombre annuel de gardes à vue de 300 000. Il rappelle aussi que 800 000 personnes sont entendues par la police en dehors de la garde à vue.

L’enjeu du débat n’est nullement négligeable. Il porte sur une procédure qui laisse apparaître des abus de droit que l’on peut attribuer au mépris de certains policiers pour leurs concitoyens, mais qui relève surtout de la méthode expéditive. C’est sûrement plus facile de faire la lumière sur un acte de délinquance quand le suspect est seul, sans avocat et livré à la détresse qui suit la fouille au corps et l’emprisonnement, que lorsqu’il est assisté par un avocat. Beaucoup d’arguments (et donc d’amendements possibles) exprimaient le souhait de la disparition pure et simple de la garde à vue et que les suspects ne fissent désormais l’objet que d’une audition mibre. Le Premier ministre, François Fillon, a mis le holà à ce grand geste libéral : le gouvernement, a-t-il déclaré mardi, n’entend pas retenir l’audition libre comme option. Il a donc exprimé un fort souci sécuritaire. L’audition libre, souhaitable pour les primo-délinquants, présente l’immense inconvénient de faire la part belle aux repris de justice. C’est pourquoi les amendements qui seront sans doute votés associeront la vigilance judiciaire à une élévation du seuil au-delà duquel la garde est prononcée.

Au cœur du débat, le rôle des avocats. Nous savons tous, pour avoir regardé des séries télévisées, qu’ils font leur travail jusqu’au bout et n’ont aucun « scrupule » à trouver les arguments de droit susceptibles de protéger leur client contre les investigations de la police. C’est pourtant la règle du jeu et, surtout, c’est le sens profond du droit. La présence de l’avocat nous semble d’autant plus indispensable que si l’on entend parler parfois de bandits de grand chemin qui sont parvenus à s’extirper des mailles du filet judiciaire, on connaît en même temps de gens traités comme des gangsters mais qui n’avaient pas commis de délit grave. Il y aura donc une bataille, à l’Assemblée, entre ceux qui réclament la présence de l’avocat dès la première minute de la garde à vue et ceux qui souhaitent que la police puisse en secret progresser dans sa recherche de la vérité. Cependant, le ministre de la Justice insiste sur la nécessité de maintenir la possibilité d’un interrogatoire sans garde à vue. Il ne précise pas si, dans ce cas également, la présence d’un avocat doit être ou non obligatoire.

LA GARDE À VUE NE DISPARAÎTRA PAS MAIS SERA CHANGÉE

L’autre bataille portera sur la qualité du juge qui surveille la garde à vue. Des députés veulent priver le parquet de son rôle et demandent que soit nommé un juge des libertés et de la détention dont la fonction serait plus conforme aux vues de la Cour européenne des droits de l’homme. M. Mercier est hostile à cette initiative et s’appuie sur l’idée que les membres du parquet sont des magistrats. Il n’y a aucune raison, ajoute-t-il en substance, de douter de l’intégrité des magistrats, quels qu’ils soient. Les tribunaux suprêmes que sont la Cour de cassation française et la Cour européenne des droits de l’homme estiment que la garde à vue peut être confiée au parquet jusqu’au troisième ou quatrième jour ; en outre, le juge des libertés intervient dès le deuxième jour.

Un rôle accru des avocats pourrait coûter cher aux justiciables, ou à l’État dans le cas des avocats commis d’office. Il nous semble qu’aucune voix ne s’est élevée pour réformer les modalités elles-mêmes de la garde à vue. Si on continue à la juger indispensable pour au moins la moitié des cas, il serait judicieux de la rendre plus soucieuse de la dignité des personnes. Ce qui aurait pour effet de limiter les effets délétères d’une erreur ou d’un abus de droit commis par la police, même si des délinquants endurcis bénéficient de la même prudence.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 8889