Face à la surpopulation carcérale, (au 1er janvier 2015, 66 270 personnes étaient détenues dans 188 établissements pénitentiaires, 69 375 au 1er juillet), caractérisée en outre par une forte prévalence des pathologies psychiatriques, l'offre médicale demeure insuffisante et inégalement répartie sur le territoire, déplore l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), dans son bilan du plan d'actions stratégiques 2010-2014, rendu public ce 21 juillet.
Selon les données (« anormalement ») anciennes, plus de la moitié des détenus ont déjà un antécédent de troubles psychiatriques, un entrant sur six a déjà été hospitalisé, une personne sur 25 souffre de schizophrénie, plus d'une sur trois de syndrome dépressif ; le taux de suicide des hommes majeurs est sept fois supérieur à la moyenne nationale : 80 % de la population carcérale fume quotidiennement du tabac, 31 % des entrants déclarent une consommation excessive d'alcool, 10 % sont sous traitement de substitution aux opiacés ; et une personne sur 100 est séropositive au VIH, une sur 20, au VHC.
Autour de 20 % de postes de médecins non pourvus
Malgré un doublement des moyens humains entre 1997 et 2013 (de 1 345 ETP à plus de 2 600), des manquements et disparités alarmantes persistent. En raison de la démographie médicale, et de la faible attractivité du travail en prison, 22 % des postes de spécialistes budgétés, 15,5 % des postes de psychiatres et 25 % des postes de kinésithérapeute ne sont pas pourvus, rapporte l'IGAS. Toutes les unités sanitaires en milieu pénitentiaires (USMP) ne sont pas logées à la même enseigne : la moitié ne peut compter sur un psychiatre qu'au mieux 2 jours par semaine, et seulement 12 couvrent à 100 % leurs postes de kinés. Les dentistes sont aussi denrées rares : 21 USMP fonctionnent avec moins de 50 % de leurs postes budgétés. Quant aux moyens matériels, les locaux sont sous-dotés, les travaux pas faits, les surfaces inférieures de 30 à 40 % par rapport à ce qui est recommandé.
Dans ces conditions, l'Organisation de la permanence des soins (PDS) lorsque l'UMSP est fermée, et la prise en charge des urgences est un défi qui concerne toutes les prisons, souligne l'IGAS. La distribution des médicaments n'est réelle que dans 16 UMSP les week-ends et jours fériés, lit-on.
« En dépit des progrès réalisés depuis 1994 (...) le patient peut être amené à s'effacer derrière le détenu », résume l'IGAS, en échos aux précédents rapports de l'ONG Human Rights Watch, la Cour des Comptes, ou le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).
La mission regrette la faible utilisation des unités hospitalières spécialisées interrégionales (UHSI) (occupée à moins de 60 % en 2014), et encourage le déploiement des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les hospitalisations psychiatriques, déploiement qui accuse un gros retard.
Télémédecine, extractions, aménagement de peine
Comme le CGLPL dans son rapport de mars 2016, l'IGAS estime nécessaire et pertinent le développement de la télémédecine, ajoutant qu'elle doit n'être qu'une modalité complémentaire aux soins, sans conduire à la réduction des postes dans les USMP. Elle recommande en outre l'établissement d'un socle minimum de fonctionnement des USMP avec un taux minimum d'ETP à pourvoir, permettant notamment de mettre en lumière les structures sous-dotées.
La mission insiste sur l'importance des extractions, alors que l'administration pénitentiaire n'en réalise que 80 % sur les 50 000 annuelles demandées par le corps médical. Pour augmenter ce taux, elle recommande de mettre en œuvre des indicateurs de suivi et de revoir les instructions, des moyens de contraintes étant trop généralisés.
Elle suggère, comme alternative aux extractions, d'avoir plus souvent recours aux permissions de sortie pour raison médicale d'une journée, et aux aménagements de peine.
Des actions de prévention à renforcer
Dans la perspective d'un nouveau « programme d'actions stratégiques relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice », l'IGAS insiste sur la consolidation des actions de prévention portées par un ensemble d'acteurs. Elle cite en particulier l'éducation à la santé, la prévention des maladies non transmissibles (accès aux dépistages du cancer colorectal, des cancers du col de l'utérus et du sein), la mise à disposition de préservatifs et lubrifiants qui doit être généralisée, l'accompagnement de la sexualité des mineurs, la santé bucco-dentaire et le suicide. Les actions portant sur la réduction des risques sanitaires liés à l'usage de stupéfiants doivent être mieux coordonnées avec le plan 2015-2017 de la MILDECA. Fixer un objectif de reconnaissance d'un droit à un encellulement non-fumeur doit être une première étape pour lutter contre le tabagisme carcéral, lit-on.
L'IGAS suggère de développer des soins en rapport avec le motif de la condamnation (pour les auteurs d'infractions sexuelles, par exemple) et de s'emparer des questions de la perte d'autonomie et de la fin de vie.
Tirant les leçons du plan 2010-2014, l'inspection invite plus largement à améliorer le pilotage du futur programme, aux mains du ministère de la Santé, associé à la Justice, ce qui doit passer par la réunion des instances de concertation et de coordination régionales et locales. Elle exige enfin l'amélioration des connaissances de l'état de santé des personnes détenues et une véritable surveillance épidémiologique.
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