LE QUOTIDIEN : Comment expliquer les accusations de violences ?
Dr AMINA YAMGNANE : Les dérapages sont le fruit de comportements de confrères qui ne sont pas « étanches » sur ce sujet. Ceux qui harcèlent ou violent les femmes commettent leurs méfaits pendant des décennies avant d’être débusqués et condamnés. C’est effroyable. Cela dit, la gynéco s’exerce naturellement sur un terrain particulièrement fragile, puisque de 10 à 15 % des femmes ont subi un viol. Nos examens peuvent réveiller des traumatismes, nous ne devons jamais l’oublier. Travailler dans un vagin est un acte purement mécanique pour l’immense majorité des gynécos, qui n’y voient aucune connotation sexuelle. Pour autant, qu’on aille dans son vagin ne revêt pas, pour la femme, le même vécu que d’aller dans son conduit auditif. Les soins gynécologiques doivent être digérables et faire sens pour nos patientes.
Comment mieux tenir compte de ce terrain particulier dans la pratique ?
En renforçant notre formation à l’écoute, nous pourrions déjà travailler et développer notre communication verbale et non verbale. Rassurer une patiente passe aussi par un regard. Nous devons généraliser de nouveaux outils pour former les gynécologues à partir de témoignages de patientes, prêtes à se raconter et expliquer leur vécu.
Cela me paraît prioritaire d’entendre sans filtre comment les femmes racontent avec leurs propres mots leur vécu d’un accouchement ou d’un examen gynécologique. Un recul nécessaire pour savoir comment mieux faire, trouver les mots et la posture qui font sens. Cet exercice, auquel j’ai déjà participé à l’université de Louvain où j’ai été formée, est passionnant. On apprend comment faire entrer des observateurs, qu’ils soient internes, externes ou assistants, en salle de naissance sans plonger la parturiente dans le désarroi. On mesure que l’on devra y renoncer avec certaines femmes, qu’il faut accepter de préserver, sous peine de les traumatiser. Fort heureusement, de très nombreuses femmes sont sereines avec la présence d’un tiers.
Une expérience personnelle de l'accouchement est-elle nécessaire ?
Il est vrai que ces évolutions dans ma pratique ont été nourries aussi d’expériences plus personnelles. Après deux accouchements et une psychanalyse, je n’exerce plus de la même façon, et je conseille ce chemin ! Quant aux professionnels de la spécialité qui n’accoucheront pas eux-mêmes, je leur propose de s’installer sur une table gynécologique. Cette vue à l’horizontale d’un cabinet de consultation permet, au propre comme au figuré, de faire naître un regard radicalement différent.
Évidemment, un travail sur soi offre l’opportunité de valider cette indispensable étanchéité que les femmes réclament. Il permet d’éloigner de notre exercice des pratiques aussi indignes que scandaleuses – le jugement, le déni de la douleur, le paternalisme, la négation de l’autonomie –, pour toujours garantir la liberté de choix.
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