Le nouvel homme fort de la droite est censé rassembler son camp et « affadir » son programme pour s'assurer d'un large soutien. À notre avis, il n'en fera rien parce que rien ne l'y oblige. Dans la primaire, l'influence des centristes a été nulle. Ils ne peuvent pas s'opposer à la réforme proposée par M. Fillon parce qu'il n'y a plus d'alternative à sa candidature. S'il fait des concessions, elles seront marginales, elles n'affecteront pas le cœur d'un programme économique et social sur lequel il a travaillé énormément et qui a été la clé de son succès. Bien sûr, François Bayrou, qui n'est centriste que dans la mesure où le centre garantit sa singularité, envisage de se présenter. Le sondage cité plus haut ne lui accorde que 6 % des voix, ce qui ne nuira pas à M. Fillon et dispersera un peu plus les voix de la gauche.
L'élan de M. Fillon semble d'autant plus irrésistible qu'il n'a pas en face de lui une gauche unie prête à en découdre. La querelle grave entre François Hollande et Manuel Valls n'a pas été vraiment résolue par le déjeuner qui les a réunis lundi dernier. Elle achève une décomposition de la gauche déjà provoquée par l'échec de la politique économique du président de la République. M. Valls, qui s'estime mieux placé que M. Hollande pour conduire son camp, doit tenir compte de deux obstacles considérables : les candidatures de MM. Montebourg et Hamon, qui l'affaibliront en lui opposant un credo diamétralement opposé au sien et la candidature hors primaire d'Emmanuel Macron, lequel, un peu comme M. Fillon mais avec d'importantes nuances, veut adapter la France à la mondialisation mais sans trop heurter les corps constitués et les syndicats.
Ni populiste, ni thatchérien
Tous ces candidats souffrent de leur pléthore et de leurs divisions face à une droite galvanisée, unie et qui dictera ses conditions. François Fillon, en effet, n'est ni un « populiste », étiquette qu'on lui a collée par paresse intellectuelle, ni un aventurier. Il n'est ni Donald Trump ni Boris Johnson. Son intégrité est indubitable. Il ne ment pas, n'utilise pas les arguties, les inexactitudes et la grossièreté des réseaux sociaux. Il a présenté un plan auquel ses électeurs n'ont accordé leur attention qu'à la dernière minute, au moment de voter. Et il a gagné à la loyale. Certes, la gauche a trouvé avec délices son nouvel épouvantail après avoir perdu le punching-ball qu'offrait la clivante personnalité de Nicolas Sarkozy. Elle, qui avait superbement ignoré M. Fillon, le décrit tout à coup comme un danger public, un « thatchérien », un réactionnaire. Elle n'a pas de mal à trouver dans les convictions de M. Fillon de quoi nourrir ses craintes et son hostilité. Encore faut-il qu'elle soit crédible : par son indigence, elle l'a propulsé à la tête de la droite quand elle aurait pu avoir comme adversaire l'homme plus acceptable à ses yeux que M. Juppé aurait pu être.
Il est curieux de l'électorat de droite ne se soit pas souvenu que M. Fillon a été pendant cinq ans le Premier ministre de Nicolas Sarkozy et qu'il ait évincé celui-ci au profit de celui-là, comme si lui semblait vraie l'idée que son nouvel homme-lige, s'il avait été libéré des humiliations dispensées par son président, aurait donné le meilleur de lui-même ; il est curieux qu'elle n'ait pas émis le moindre doute sur l'insuffisance des réformes entre 2007 et 2012 ; il est curieux qu'elle lui ait assuré un triomphe après avoir chéri M. Juppé pendant près de deux ans. Mais à quoi bon s'étonner ? Ainsi va la vie politique qui n'aurait que peu d'intérêt si tout était réglé à l'avance. Personne, sauf ceux qui composent la majorité actuelle et s'apprêtent à passer dans l'opposition, ne peut nier que le pays a besoin d'une profonde réforme et que M. Fillon est en mesure de la mener à bien, tout au moins veut-on le croire. Il s'est beaucoup trop engagé pour qu'on ne lui demande pas des comptes, le moment venu. Mais il ne faudrait pas que, pour protéger leur rente de situation, ses adversaires s'ingénient à l'abattre.
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