Il y a les actes flagrants, les violences clairement antisémites. Ainsi, le mois dernier, les mots « sale juif » et des croix gammées qui ont été tagués sur les murs et les portes de huit cabinets médicaux à Paris, dans le XIVe arrondissement. « La bête immonde est toujours vivante, virulente et malfaisante », réagit le Dr Jean B. sur le site du Quotidien du médecin, à l’instar de bon nombre de lecteurs qui dénoncent « des actes proprement scandaleux » (Dr B.S.) et se déclarent « non seulement confrères, mais frères » des praticiens visés (sous le pseudo coaguladuxbellorumporporis).
Flagrantes encore, les exactions dont a été victime en banlieue parisienne, à Vitry (94), le Dr David Rouah, installé comme généraliste depuis quarante ans : il a été cambriolé l’an dernier à deux reprises, avec vol de ses plaques professionnelles et agressé à la sortie de son cabinet par des jeunes en scooter. « Dans les rues, j’entends crier « Juifs dehors », une patiente m’a dit un jour : "Je ne vous paierai pas, vous êtes riche, vous n’avez pas besoin de mon argent". » Les pratiquants qui fréquentent la synagogue voisine du cabinet rasent les murs et essuient des jets d’œufs et de cannettes vides. » Moins violemment, à Bobigny, c’est le Dr Serge Bernstein, généraliste à Villetaneuse (93), confronté en 2017 à deux manifestations hostiles lors de commissions paritaires locales de la Sécurité Sociale, à Bobigny, parce qu’il a refusé de retirer sa kippa.
Cartouche de chevrotine
Et puis il y a l’antisémtisime qui couve, à bas bruit, pas toujours identifiable. Le même Dr Serge Bernstein qui exerce dans un quartier à majorité arabo-musulman à Villetaneuse (93), où la bonne entente inter-communautaire a fait place depuis quelques années à des tensions autour du conflit israëlo-palestinien. « On me dit parfois : tu fais du mal à ma famille…Et je me rends compte qu’il ne faudrait pas grand-chose pour que tout s’enflamme autour de moi. Le climat est devenu mauvais.» « Le mois dernier, j’ai trouvé dans ma boîte à lettres une cartouche de chevrotine, rapporte le Dr Eric Benarroch, cardiologue depuis 1991 à Bondy. Aucun message n’était joint. Mais je vois passer dans les rues qui bordent le cabinet des enfants têtes baissées qui rasent les murs pour aller à la synagogue, des adultes encadrés par des policiers pour y accéder. Des patients me disent : « Macron, il est juif ! » Et je leur réponds : « Comme moi, alors! »
À Bondy, le Dr Muriel Sitbon, endocrinologue en ville et à l’hôpital parle régime lors du ramadan avec ses patients sans souci. « Mais j’ai trouvé un soir une crotte de chien écrasée sur le hayon de ma voiture. Et ma plaque a été dévissée. Sans signature. Et je vois les juifs en kippa qui se rendent à la synagogue sans jamais être seuls. »
À Stains (93), c’est le Dr Mardoché Sebbag, généraliste installé depuis 1977, qui n’a jamais été directement ciblé mais qui confie « se sentir de moins en moins en sécurité, avec 95 % des gens qui sont pacifiques, mais de plus en plus de saloperies écrites sur les murs qui attisent la radicalité. Ma femme exerce avec moi, mais je ne la laisse pas partir pour des urgences dans les cités et parfois je dois démarrer très vite quand je vois arriver des groupes de jeunes. »
Ordre et syndicats sur le qui-vive
Sollicités par «Le Quotidien», ni le Dr Jean-Luc Fontenoy, président de l’Ordre du 93, ni le Dr Bernard Le Douarin (Ordre du 94), n’ont à ce jour enregistré de signalements d’actes antisémites. C’était le cas jusqu’au mois dernier à Paris, où le Dr Jean-Jacques Avrane, président de l’Ordre du 75 a décidé de se porter partie civile après les tags du XIVe. Les instances ordinales sont sur le qui-vive et leurs responsables insistent sur la nécessité d’être alertées, avec les procureurs de la République, en cas d’incident avec soupçon d’antisémitisme. « Tout ça nous turlupine tous beaucoup et nous sommes hyper-motivés pour réagir », confie le Dr François Wilthien, vice-président de l’URPS Ile-de-France, conscient, comme ses homologues, du phénomène de « sous-déclaration, qui conduit les médecins à effacer les traces pour éviter escalade et représailles, alors que les faits commis ne révèlent pas explicitement leur nature raciste et antisémite » , rappelle le Dr Sitbon.
Côté syndical aussi, on est en alerte. « « Nous avons vocation à jouer les paratonnerres sur ces affaires, insiste le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, dès lors que nous sommes saisis et nous regrettons la sous-évaluation des données, qui enregistrent les faits de violence sans qualification de racisme et d’antisémitisme. » A la FMF aussi, on se veut « féroce contre les antisémites» déclare le Dr Jean-Paul Hamon : « Nous avons protesté au niveau national quand le Dr Bernstein a été inquiété et nous avons saisi Nicolas Revel. Le milieu médical est par nature tolérant mais il n’est nullement épargné par l’antisémitisme. Attention en particulier aux dérapages qui sous couvert d’esprit carabin dérapent salement. On peut rire de tout, mais certainement pas avec n’importe qui. » Ex-secrétaire général de la CSMF, le Dr Pierre Lévy se souvient pour sa part d’avoir reçu lui-même il y a plusieurs années des insultes antisémites au téléphone et insiste sur l’importance de signaler et de sanctionner.
À l’AMIF (Association des médecins israélites de France), le Dr Bruno Halioua affirme que « l’alya (le retour en Israël) touche les médecins depuis plusieurs années, dans un contexte qui devient déplorable. » « Il m’arrive de songer à quitter Vitry », confie le Dr Rouah, dont les deux fils médecins ont choisi d’exercer à Paris, redoutant l’ambiance du 94. « Dans ma patientèle, de plus en plus de familles fuient vers Israël », constate le Dr Sebbag. « Ça devient difficile de rester », estime le Dr Benarroch. « Une libération de la parole antisémite, dans le sillage de Dieudonné et Soral affecte depuis plusieurs années le monde médical, qui n’est plus sanctuarisé, constate le Dr Richard Prasquier, ancien président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). Quelque chose est en train de se passer. »